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salon où, tout en ne paraissant s’occuper de personne, il réussissait à occuper chacun de ce qui lui était le plus agréable, à faire envers chacun preuve de courtoisie et de dévotieux empressement.

Ce n’est assurément pas sans avoir des répugnances légèrement misanthropiques à vaincre, qu’on décidait Chopin à ouvrir sa porte et son piano pour ceux auxquels une amitié aussi respectueuse que loyale, permettait de le lui demander avec instance. Plus d’un de nous, sans doute, se souvient encore de cette première soirée improvisée chez lui en dépit de ses refus, alors qu’il demeurait à la Chaussée-d’Antin. Son appartement, envahi par surprise, n’était éclairé que de quelques bougies réunies autour d’un de ces pianos de Pleyel qu’il affectionnait particulièrement, à cause de leur sonorité argentine un peu voilée et de leur facile toucher. Il en tirait des sons qu’on eût cru appartenir à une de ces harmonicas que les anciens maîtres construisaient si ingénieusement, en mariant le cristal et l’eau, et dont la romanesque Allemagne conserva le monopole poétique.

Des coins laissés dans l’obscurité semblaient ôter toute borne à cette chambre et l’adosser aux ténèbres de l’espace. Dans quelque clair-obscur on entrevoyait un meuble revêtu de sa housse blanchatre, forme indistincte, se dressant comme un spectre venu pour écouter les accens qui l’avaient appelé. La lumière, concentrée autour du piano, tombait sur le parquet. Elle