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d’entamer cette vigoureuse nature. Toutefois il y avait bien autre chose chez lui que de la lassitude ; le mal qui le dévorait était celui des novateurs, des hommes de désir, qui s’irritent contre des obstacles opposés par les préjugés ou par des intérêts individuels au succès de leurs plans généreux ; c’était le chagrin et le dégoût que lui causait l’ingratitude de ses concitoyens. Lui qui avait tout fait pour son pays, lui dont les conceptions avaient enfanté autour de lui la richesse, lui dont les idées étaient devenues celles de tout un peuple, pour prix du dévouement exalté de toute sa vie, il n’avait recueilli que des mécomptes, des inimitiés, des humiliations. Cette coupable indifférence l’avait blessé profondément et lui avait brisé le cœur ; c’était la maladie mortelle dont il était atteint et à laquelle il a succombé.

La vie et le climat de l’Angleterre ne lui convenaient pas ; il y avait été presque toujours indisposé, et ses douleurs d’entrailles avaient augmenté sensiblement. À son retour, en automne, sa famille et ses amis le trouvèrent changé. En novembre, son mal empira, il paraissait abattu, et cependant jusque dans ses derniers jours son activité organisatrice ne se reposait pas ; il était en train de fonder une vaste association en Bavière. Un matin, pour chercher un soulagement à ses souffrances dans les distractions d’un voyage, il partit pour Munich ; sa famille reçut de lui un billet de Tegernsee ; il voulait, y écrivait-il, aller à Meran, où la douceur de l’air lui ferait du bien. Quelques jours après, la Gazette d’Augsbourg apprenait sa fin tragique, avec cette citation de Sénèque : « Non afferam mihi manus propter dolorem ; sic mori, vinci est. Hunc tarnen si sciero perpetuo mihi esse patiendum, exibo non propter ipsum, sed quia impedimento mihi futurus est ad omne propter quod vivitur »[1].

Arrivé à Schwatz, le mauvais temps avait obligé List de re-

  1. Je ne porterai pas la main sur moi, en cédant à ma douleur ; mourir ainsi, c’est être vaincu. Si cependant je sais que je dois la supporter toujours, je m’en irai non à cause d’elle, mais parce qu’elle me ferait obstacle pour tout ce qui constitue le but de la vie.