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CHAPITRE IV.

la politique commerciale de la nation allemande.


Si un pays est destiné à l’industrie manufacturière, c’est à coup sûr l’Allemagne. Le haut rang qu’elle occupe dans les sciences, dans les beaux-arts et dans la littérature, de même que sous le rapport de l’enseignement, de l’administration

    d’Augsbourg, lorsqu’il fit réflexion qu’au lieu d’appeler ainsi sur certains points l’attention des ennemis de l’Angleterre et de l’Allemagne, il serait plus convenable et plus patriotique de soumettre ses vues aux hommes d’État les plus éminents des deux pays. C’est ainsi qu’il conçut le projet d’un voyage à Londres, et que, encouragé par de puissants personnages, mais sans autre mission que celle qu’il s’était donnée à lui-même, il partit en qualité d’ambassadeur de l’Allemand Michel auprès de l’Anglais John Bull.
      « La négociation échoua complètement, et il faut avouer que List l’avait entreprise dans un moment des plus inopportuns. C’était au lendemain de la grande victoire de la Ligue et de l’adoption du bill des céréales, lorsque le règne du libre échange avait été établi en Angleterre, et qu’on s’y flattait de l’étendre au reste du monde par l’autorité de l’exemple. Venir dans un pareil moment proposer une alliance à l’Angleterre, eu lui demandant pour condition de cette alliance de ne pas mettre obstacle à l’affermissement du système protecteur en Allemagne, était une démarche hardie, paradoxale et d’un succès impossible. Les réponses de sir Robert Peel et de lord Palmerston à l’auteur du Mémoire ont été publiées dans les feuilles allemandes. Sir Robert Peel sympathise de tout son cœur à l’idée d’une étroite alliance entre l’Allemagne et l’Angleterre, mais il ne partage pas les idées de List sur les moyens de la réaliser. L’économiste allemand se trompe, dit-il, en pensant que, par le consentement qu’elle donnerait à l’établissement ou au maintien de droits élevés sur quelques-uns de ses produits, l’Angleterre se concilierait l’affection de l’Allemagne et jetterait les bases d’une amitié durable entre les deux contrées. Suivant lui, le but ne saurait être mieux atteint que par la suppression des obstacles à l’échange des produits respectifs ; l’opinion publique allemande ne lui paraît pas aussi prononcée que le soutient le docteur List en faveur du système protecteur ; si elle est telle, en effet, le devoir des hommes d’État et des écrivains de l’Allemagne est de combattre des idées tout à fait erronées, des idées préjudiciables à l’Allemagne aussi bien qu’à l’Angleterre et de nature à empêcher une intimité si désirable entre deux puissantes nations dont les intérêts politiques se confondent, pour ainsi dire. Ce langage de sir Hubert Peel était de tout point conforme aux traditions de la politique commerciale anglaise, et l’on ne pouvait en attendre un autre de celui qui venait de s’illustrer en consommant la grande réforme douanière de 1846. La lettre de lord Palmerston est écrite dans le même esprit, avec cette différence qu’au lieu d’être convenable et polie, elle est dogmatique et pédantesque.
      « List n’avait pourtant pas été avare de politesses envers l’Angleterre ; il lui prodiguait, au contraire, les éloges les plus vifs, et il ne la priait de permettre à l’Allemagne de devenir riche et puissante que pour servir un jour d’instrument à la grandeur britannique. On s’étonne, au premier abord, en lisant le Mémoire, de ce changement soudain de langage ; on se demande si c’est bien là le même homme, si c’est bien là le patriote ardent qui ne cessait d’exciter ses concitoyens à secouer le joug des Anglais, à les expulser du littoral de la mer du Nord, sans épargner au besoin l’invective à ces orgueilleux dominateurs. Si l’on regarde de plus près, c’est toujours en effet le même homme, invariablement appliqué à la poursuite du même but, l’émancipation de son pays ; il a seulement changé de moyens. Au milieu d’une lutte persévérante dont les résultats effectifs avaient été jusque là des plus minces, List s’était figuré qu’il pourrait obtenir du bon sens et de l’intérêt bien entendu de ses adversaires ce qu’il n’avait pu leur arracher en les combattant. C’était la plus étrange des illusions ; on ne doit jamais son émancipation qu’à soi-même, et les influences prépondérantes ne se retirent point volontairement, elles ne cèdent que devant une force supérieure. Le Zollverein ne se complétera que par ses seuls efforts, et l’Allemagne ne deviendra indépendante et riche qu’à la condition de surmonter tous les obstacles qui lui seront opposés ; ce développement pénible et disputé, c’est la loi de tous les peuples et de tous les temps. Peut-être, sous l’empire de la préoccupation du moment, celle d’écarter l’opposition des intérêts britanniques, List a-t-il fait bon marché de l’avenir de son pays en lui assignant pour destinée d’aider l’Angleterre à triompher de ses rivales et à étendre sur le monde, des parages de la Manche aux mers de la Chine et de la Malaisie, sans solution de continuité, le réseau d’une domination gigantesque. Est-ce donc pour ce rôle secondaire, pour cette mission subalterne qu’il a si éloquemment et si constamment convié l’Allemagne à l’unité ? Quelque puissantes que soient les affinités de race, elles ne suffisent pas cependant pour cimenter des alliances entre les peuples ; si la communauté d’origine n’empêche pas la rivalité des Etats-Unis avec l’Angleterre, on ne voit pas pourquoi, ainsi que List le suppose, elle deviendrait entre l’Angleterre et l’Allemagne, l’Allemagne devenue une et puissante, un principe d’intimité, d’une intimité qui subordonnerait l’un des deux pays à l’autre.
      « Cette alliance avec l’Angleterre avait pour but de mettre l’Allemagne à l’abri de l’ambition des deux grandes nations militaires entre lesquelles elle est située. Ici, nous devons le dire, List s’est trompé à l’égard de la France, et il a été profondément injuste envers elle. Si la Russie pèse sur la frontière orientale de l’Allemagne, comme L’Angleterre sur son littoral du Nord, la France aujourd’hui ne menace nullement sa frontière occidentale. Que List refuse à la nation française certaines facultés qu’elle n’a pas déployées jusqu’ici avec éclat, mais que, sous le régime de la liberté constitutionnelle, elle ne peut manquer d’acquérir, nous ne lui en ferons pas un sujet de reproche ; mais il est inexcusable à nos yeux de voir dans les Français d’à présent un peuple altéré de gloire militaire, dans leurs Institutions un mécanisme pour la guerre, dans les combats qu’ils livrent aux Arabes d’Afrique une préparation à la conquête du continent européen. Ces jugements erronés, que nous regrettons vivement de la part d’un écrivain dont l’autorité est grande au delà du Rhin, ne peuvent s’expliquer que par des impressions de jeunesse que les démonstrations belliqueuses de 1810 auront rafraîchies. Nul ne songe en France à recommencer l’épopée de l’empire ; toutes les pensées y sont tournées vers le développement des libertés publiques et du bien-être général ; une guerre sur le Rhin y est considérée comme une guerre impie, et l’un des mérites que l’on y trouve à la possession de l’Algérie, c’est d’être une des garanties de la paix en Europe, en ouvrant un meilleur champ de gloire et d’activité militaires. La France n’a plus de motifs de convoiter la limite du Rhin, du moment qu’elle est assurée des dispositions pacifiques et amicales de l’Allemagne ; et comme elle-même n’éprouve que de la sympathie pour le développement des libertés allemandes, comme elle est pleine de respect pour l’indépendance de sa voisine et que les progrès de celle-ci ne lui font point ombrage, elle est en droit de compter sur de semblables dispositions. (H. R.)