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William Pitt fut le premier homme d’État anglais qui comprit l’usage qu’on pouvait faire de la théorie cosmopolite d’Adam Smith, et ce n’était pas en vain qu’il avait constamment avec lui un exemplaire de la Richesse des nations. Son discours de 1786, prononcé à l’adresse, non du Parlement ou de son pays, mais évidemment des hommes d’État inexpérimentés et inhabiles de la France, et calculé uniquement pour les gagner au traité d’Éden, est un chef-d’œuvre de dialectique à la Smith. La France, à l’entendre, était naturellement appelée à l’agriculture et à la production du vin, comme l’Angleterre aux manufactures ; ces deux nations étaient l’une vis-à-vis de l’autre comme deux grands négociants, travaillant dans des branches différentes, qui s’enrichissent l’un l’autre en échangeant leurs marchandises[1]. Pas un mot de l’ancienne maxime de l’Angleterre, que, dans le commerce extérieur, une nation ne peut parvenir au plus haut degré de richesse et de puissance que par l’échange de ses produits manufacturés contre des produits agricoles et des matières brutes. Cette maxime est restée depuis lors un secret d’État de l’Angleterre ; elle cessa d’être publiquement proclamée, mais elle ne fut que plus strictement suivie.

Du reste, si, depuis William Pitt, l’Angleterre avait effectivement renoncé au système protecteur comme à une béquille inutile, elle serait aujourd’hui beaucoup plus grande qu’elle ne

  1. « La France, disait Pitt, a sur l’Angleterre l’avantage du climat et d’autres dons de la nature, elle la surpasse sous le rapport des produits bruts ; mais l’Angleterre l’emporte sur la France par ses produits fabriqués. Les vins, les eaux-de-vie, les huiles et les vinaigres de France, les deux premiers articles surtout, présentent tant d’importance et tant de valeur, que nos richesses naturelles ne sauraient leur être comparées ; d’un autre côté, il n’est pas moins reconnu que l’Angleterre a le monopole de certaines branches de fabrication, et que dans d’autres elle possède assez d’avantage pour braver toute rivalité de la part de la France. C’est la condition et la base naturelle de relations avantageuses entre les deux pays. Chacun ayant de grands articles qui lui sont propres et possédant ce qui manque à l’autre, ils sont vis-à-vis l’un de l’autre comme deux grands négociants, travaillant dans des branches différentes, qui se rendent mutuellement service en échangeant leurs marchandises. »