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l’épargne. Ses écrits devinrent ainsi populaires par des motifs indépendants de leur contenu. Comment sans cela cette popularité eût-elle survécu à la chute de Napoléon, dans un temps où la mise en vigueur de son système aurait infailliblement ruiné les fabriques françaises ? Son attachement opiniâtre au principe cosmopolite, dans de pareilles circonstances, donne la mesure de sa portée politique. La fermeté de sa foi dans les tendances cosmopolites de Canning et de Huskisson montre a quel point il connaissait le monde. Il n’a manqué à sa gloire que de se voir confier par Louis XVIII ou par Charles X le département du commerce et des finances. Nul doute que l’histoire eût inscrit son nom à côté de celui de Colbert, celui-ci comme le créateur, celui-là comme le destructeur de l’industrie nationale[1].

On n’a jamais vu un écrivain exercer avec des moyens si faibles une si grande terreur scientifique que J.-B. Say ; le plus léger doute sur l’infaillibilité de sa doctrine était puni par le terme flétrissant d’obscurantisme, et jusqu’à des hommes tels que Chaptal redoutaient les anathèmes de ce pape de l’économie politique. L’ouvrage de Chaptal sur l’industrie française n’est d’un bout à l’autre qu’un exposé des résultats du système protecteur en France ; il le dit expressé-

  1. Peut-être J.-B. Say, ministre du commerce, eût-il été fort réservé dans l’application de sa théorie. Dans les pays où le système protecteur a une raison d’existence, on a vu plus d’un économiste ultra-libéral se tempérer aux affaires, de même qu’en Angleterre où la liberté du commerce la plus étendue était un intérêt public de premier ordre, on a vu des ministres passer du camp de la protection dans celui du libre échange. Quand des hommes distingués sont revêtus du pouvoir, ils n’y font jamais autre chose que l’œuvre de leur temps. Les vives attaques de J.-B. Say, non pas contre les excès du système protecteur, mais contre le système protecteur lui-même appliqué à notre pays, ne témoignent pas en faveur de son sens pratique ; mais on ne saurait les attribuer à des motifs de rancune. Say a dit quelque part : « Tourmenté d’un amour inné pour la vérité, je l’ai constamment cherchée avec la plus entière bonne foi. » La lecture de ses ouvrages ne permet pas d’en douter ; et, sans le réputer infaillible, sans voir en lui le dernier mot de la science, on ne peut qu’éprouver un profond respect pour celui qui a appris au continent à peu près tout ce qu’on y sait en économie politique. (H. R.)