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perdu de vue le but national. Lui, qui comprend si bien les avantages de la division du travail dans une manufacture, ne voit pas que le même principe s’applique avec la même énergie à des provinces et à des nations entières.

Notre jugement est pleinement d’accord avec ce que Dugald-Stewart dit d’Adam Smith. Smith savait apprécier quelques traits d’un caractère avec la sagacité la plus rare ; mais s’il portait un jugement sur l’ensemble d’un caractère ou sur l’ensemble d’un livre, on était tout étonné du peu d’étendue et de justesse de ses aperçus. Il ne savait pas même juger sûrement ceux avec lesquels il avait vécu durant plusieurs années dans l’amitié la plus intime. « Le portrait, dit le biographe, était toujours vivant et expressif, il avait une grande ressemblance avec l’original considéré sous un certain point de vue, mais il n’en reproduisait pas une exacte et complète image dans tous les sens et sous tous les rapports.[1] »

  1. Plus tard, dans un écrit qu’une note précédente a mentionné, List a été plus juste envers Adam Smith, contre lequel son seul grief, en dernière analyse, était la doctrine de la liberté illimitée du commerce. J’avais dit dans l’Association douanière allemande, qu’Adam Smith, s’il reparaissait parmi nous, serait probablement moins absolu à cet égard ; en effet, s’il était d’un esprit généreux au siècle dernier de réagir passionnément contre une réglementation abusive, dans ce siècle-ci il est d’une intelligence éclairée de distinguer entre l’abus et l’usage : il s’est produit de plus, depuis quatre-vingts ans, des faits considérables auxquels la science ne peut fermer les yeux. C’est ce dernier point de vue que List a développé avec force dans le passage suivant, en montrant quels changements l’invention des machines a apportés dans l’industrie manufacturière et dans la situation respective des différentes nations :
      « Richelot a grande raison de dire que, si Adam Smith reparaissait parmi nous, il serait d’un tout autre avis sur la liberté du commerce. Lorsque Adam Smith a écrit son ouvrage, on ne pouvait pas prévoir à quel point la révolution de toutes les industries causée par l’essor des sciences modifierait l’économie des nations. Alors liberté du commerce était synonyme de division des principales branches de travail entre les peuples industriels. Aujourd’hui que nous connaissons l’action des machines et que nous pouvons en soupçonner les effets ultérieurs, la liberté commerciale serait la dissolution de toutes les nationalités restées en arrière, au profit des plus avancées…
      « À cette époque, l’Angleterre, la France et l’Allemagne étaient dans leurs productions industrielles, sinon tout à fait, du moins à peu près au même degré d’avancement. Chacune de ces contrées avait sa branche dans