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    écrit, dont nous devons la traduction à M. Maurice Block, un passage remarquable sur la protection à l’industrie manufacturière.
      Après avoir montré les pertes que le système protecteur peut occasionner à son début, Roscher s’exprime en ces termes :«  Le sacrifice momentané demandé au consommateur, en faveur de certaines industries, peut et doit produire un avantage durable et suffisant pour compenser largement ces pertes, si ces industries ont de la vitalité et naissent dans un milieu favorable. On ne perd, comme dit List, que des valeurs d’échange, et on gagne des forces productives. N’en est-il pas ainsi, par exemple, des dépenses occasionnées par l’instruction ? Quand les entrepreneurs sont encore craintifs et ne disposent pas de grands capitaux, ils négligent même les affaires offrant les chances les meilleures, si les débouchés ne sont pas assurés d’avance. De là vient que les privilèges des corporations, les droits d’entrepôt forcé et de foire, les compagnies commerciales privilégiées ont été si avantageux aux débuts de l’industrie et du commerce. Une plante précieuse a souvent besoin d’être abritée, soutenue, en un mot d’être protégée dans sa jeunesse ; ce n’est que lorsqu’elle a pris racine dans le sol qu’on peut l’exposer au vent et au froid, à la pluie et au soleil.
      Qu’on se représente deux pays également bien partagés, tant sous le rapport des facultés physiques et intellectuelles de leurs habitants, que sous le rapport de la position géographique, et dont l’un renferme une industrie florissant depuis des siècles, tandis que l’autre en est encore aux premiers tâtonnements. Sous le régime d’une liberté entière du commerce, les fabricants appartenant au pays avancé ne pourront-ils pas, au moyen de leurs capitaux abondants et à bas prix, de l’habileté de leurs contremaîtres et de leurs ouvriers, de l’habitude qu’ils ont des spéculations et des combinaisons industrielles et de leurs autres avantages, parvenir à écraser, dès le début, la plupart des entreprises tentées dans les pays arriérés ? Lorsque les circonstances sont aussi avantageuses à leurs concurrents, les producteurs du pays arriéré doivent succomber, malgré le bas prix de leurs salaires et leur proximité du marché, à l’exception de quelques objets d’une fabrication grossière ; ce pays pourrait ainsi être condamné à ne produire que des matières premières ou des produits bruts. Il se trouverait ainsi, vis-à-vis de son rival, dans les rapports de la campagne à la ville industrielle et commerciale. Le producteur dans ce pays, ne voyant que le gain du moment, ne croira même pas devoir se plaindre de ce partage. Mais l’intérêt de la nation n’est nullement identique à la somme des intérêts privés de ces producteurs, fussent-ils même la majorité des habitants du pays. L’avantage réel et durable de tous les individus, y compris même ceux qui ne sont pas encore nés, peut seul former ce qu’on appelle l’intérêt général. Ce point est encore méconnu de nombreux théoriciens.
      On a pensé, il est vrai, que l’accroissement de la population et des capitaux suffisait pour faire naître des industries compliquées. Mais on oublie trop, d’une part, qu’on n’économise guère de capitaux que dans les pays où l’on espère les employer avec fruit ; et, de l’autre, que l’augmentation de la population agricole peut produire un prolétariat rural et un morcellement excessif des cultures, tout aussi bien qu’un développement de l’industrie