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plusieurs générations, un immense marché intérieur, et, ce qui revient au même, un immense marché colonial, par conséquent la certitude, en tout état de cause, d’écouler avec profit de grandes masses d’articles, des garanties de stabilité et des moyens suffisants d’escompter durant plusieurs années l’avenir, s’il s’agit de conquérir un marché étranger.

En examinant un a un tous ces avantages, on reconnaît que, vis-à-vis d’une telle puissance, il serait insensé de compter sur le cours naturel des choses avec la libre concurrence, là où il y a des ouvriers et des hommes d’art à former, où la fabrication des machines et les voies de communication sont à naître, où, loin de faire des envois considérables à l’étranger, le fabricant n’a pas même la possession du marché intérieur, où il s’estime heureux de trouver du crédit dans la limite du strict nécessaire, ou l’on peut craindre chaque jour que, sous l’influence de crises commerciales et des opérations de banque de l’Angleterre, des masses de marchandises étrangères ne soient versées dans le pays à des prix équivalant à peine à la valeur de la matière première et n’arrêtent pour plusieurs années les progrès de la fabrication.

Inutilement de pareilles nations se résigneraient-elles à subir à perpétuité la suprématie des manufactures anglaises, et se contenteraient-elles du rôle modeste de fournir à l’Angleterre ce que celle-ci ne peut produire ou ne peut pas tirer d’ailleurs. Dans cet abaissement même elles ne trouveraient pas leur salut. Que sert, par exemple, aux Américains du Nord de sacrifier la prospérité de leurs États les plus brillants et les plus avancés, des États du travail libre, peut-être même leur grandeur nationale à venir, à l’avantage d’approvisionner l’Angleterre de coton en laine ? Empêchent-ils ainsi l’Angleterre de chercher à se procurer cette matière dans d’autres contrées ? Les Allemands auraient beau se résigner à faire venir de l’Angleterre, en échange de leurs laines fines, les objets manufacturés qu’ils consomment, ils empêcheraient difficilement que, d’ici à vingt ans, l’Australie n’inondât l’Europe entière de ses belles toisons.