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Mais l’école a pris justement le contre-pied de cette maxime, en adoptant pour devise le mot du vieux Gournay : laissez faire, laissez passer, mot qui n’est pas moins agréable aux brigands, aux fourbes et aux fripons qu’aux commerçants, et qui, par cela seul, est déjà suspect. Cette opinion insensée qui sacrifie les intérêts de l’industrie manufacturière et de l’agriculture aux prétentions du commerce, à une liberté absolue dans ses mouvements, est une conséquence naturelle de cette théorie qui ne se préoccupe que des valeurs et jamais des forces productives, et qui considère le monde entier comme une république de marchands une et indivisible. L’école ne s’aperçoit pas que le commerçant peut atteindre son but, qui consiste à acquérir des valeurs par la voie de l’échange, même aux dépens des agriculteurs et des manufacturiers, aux dépens des forces productives, que dis-je ? de l’indépendance de la nation. Il ne s’inquiète nullement, et la nature de ses opérations et de son but l’en dispense, de rechercher l’influence que les marchandises qu’il importe ou qu’il exporte peuvent exercer sur la moralité, sur la prospérité et la puissance du pays. Il importe des poisons tout aussi bien que des remèdes. Il énerve des nations entières au moyen de l’opium et de l’eau-de-vie. Que, par l’importation légale ou par la contrebande, il procure à des centaines de milliers d’individus de l’occupation et du pain, ou qu’il les réduise à la mendicité, cela lui importe peu pourvu qu’il réalise un profit. Si ses compatriotes affamés essayent d’échapper par l’émigration à la misère qu’ils endurent dans leur patrie, il gagne encore des valeurs échangeables en les transportant. En temps de guerre il approvisionne l’ennemi d’armes et de munitions. Il vendrait à l’étranger, si c’était possible, jusqu’aux champs labourables et aux prairies, et, après avoir fait argent du dernier morceau de terre, il s’embarquerait sur son navire et s’exporterait lui-même[1].

  1. Quelles que soient les exagérations auxquelles la maxime du laissez passer a donné lieu, la liberté du commerce, on doit le dire, n’a jamais été réclamée dans l’intérêt particulier des commerçants. Les physiocrates la de-