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trie manufacturière, et les nations qui méconnaissent cette vérité, quelque favorisées qu’elles puissent être par la nature pour la culture de la terre, non-seulement n’avancent pas en richesse, en population, en civilisation et en puissance, mais elles reculent.

Il n’est pas rare cependant de voir les propriétaires fonciers considérer les mesures qui tendent à doter le pays d’une industrie manufacturière comme des privilèges qui ne profitent qu’aux manufacturiers et dont ils supportent seuls le fardeau. Eux qui, dans l’origine, se rendent si bien compte des avantages considérables que leur procure l’établissement d’un moulin à farine, d’une scierie, d’une forge dans leur voisinage, au point d’y concourir par les plus grands sacrifices, ne comprennent plus, dans un état de civilisation un peu plus avancé, quels profits immenses l’agriculture du pays retire d’une industrie manufacturière nationale complètement développée et combien elle a intérêt à se résigner aux sacrifices sans lesquels ce but ne peut être atteint. C’est que, excepté chez un petit nombre de nations très-avancées, le propriétaire, qui, généralement, voit assez bien de près, a rarement la vue longue.

On ne doit pas méconnaître non plus que la théorie régnante a contribué pour sa part à troubler le jugement des propriétaires. Adam Smith et Say se sont appliqués, d’une part à représenter les efforts de manufacturiers pour obtenir des mesures de protection comme des inspirations de l’égoïsme, de l’autre à vanter la générosité et le désintéressement des propriétaires, comme des gens bien éloignés de réclamer pour eux de semblables faveurs[1]. On dirait que l’attention des propriétaires fonciers a été ainsi appelée vers cette vertu du

  1. Smith en particulier témoigne pour les propriétaires et contre les manufacturiers une partialité qui étonne dans un esprit si libéral. Il va jusqu’à prétendre que l’intérêt privé des propriétaires est toujours inséparable de l’intérêt général. Qu’eût-il dit de nos jours, en voyant sa doctrine de la liberté commerciale appliquée en Angleterre par les efforts de ces manufacturiers qu’il estimait si peu, en dépit des insistances égoïstes de ces propriétaires fonciers pour lesquels il n’avait que des éloges ? (H. R.)