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avec les lois et les institutions ; il a cent fois plus d’occasions de former son esprit que l’agriculteur. Pour la conduite de ses affaires, il a besoin de connaître l’étranger. Pour l’établissement de son industrie, il est tenu à des efforts extraordinaires.

Tandis que l’agriculteur n’a de rapports qu’avec son voisinage, les relations du manufacturier s’étendent sur toutes les parties du monde. Le désir d’acquérir ou de conserver la confiance de ses compatriotes, et une concurrence sans fin qui ne cesse de menacer son existence et sa fortune, sont pour lui de vifs stimulants à une incessante activité et à des progrès ininterrompus. Mille exemples lui prouvent que, par des efforts extraordinaires, on peut s’élever de la position la plus infime aux premiers rangs de la société, mais qu’on peut aussi, par la routine et par la négligence, tomber du haut de l’échelle sociale à ses plus bas degrés. Cet état de choses fait naître chez le manufacturier une énergie dont on n’aperçoit nulle trace sous le régime d’une informe agriculture.

Si l’on envisage dans leur ensemble les travaux des manufactures, on reconnaît tout d’abord qu’ils développent et mettent en jeu des facultés et des talents infiniment plus variés, infiniment plus élevés que ne le fait l’agriculture.

Adam Smith, assurément, a soutenu un de ces paradoxes qu’il aimait tant, au dire de son biographe Dugald-Stewart, lorsqu’il a prétendu que l’agriculture exige plus d’habileté que les arts industriels. Sans rechercher si la confection d’une montre exige plus d’habileté que la direction d’une ferme, nous nous contenterons de faire remarquer que toutes les occupations d’une ferme sont de même nature, tandis que celles d’une manufacture sont variées à l’infini. On ne doit pas oublier non plus que, dans la comparaison dont il s’agit, c’est l’agriculture dans son état primitif qu’il faut envisager, et non pas celle qui s’est perfectionnée sous l’influence des manufactures. Si la condition de l’agriculteur en Angleterre paraissait à Adam Smith beaucoup plus noble que celle du fabricant, c’est qu’il lui échappait qu’elle avait été relevée par l’action des manufactures et du commerce.