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théorie que ces insulaires si pratiques n’avaient considérée jusque-là que comme une utopie. Le froid observateur pouvait aisément apercevoir que l’enthousiasme de la philanthropie était étranger à cette conversion ; car c’était seulement lorsqu’il était question de faciliter l’exportation des produits fabriqués anglais sur le continent de l’Europe ou sur celui de l’Amérique, que se produisaient des arguments cosmopolites ; lorsqu’il s’agissait de la libre importation du blé ou même de la concurrence des articles des fabriques étrangères sur le marché anglais, on entendait un tout autre langage[1]. Malheureusement, disait-on, la longue application d’un système contraire à la nature avait créé en Angleterre un état de choses artificiel, qui ne pouvait être changé subitement sans entraîner les conséquences les plus funestes ; on était obligé de procéder avec beaucoup de circonspection et de prudence ; l’Angleterre en cela était a plaindre ; il était d’autant plus heureux pour les peuples du continent de l’Europe et de celui de l’Amérique, que leur situation leur permit de jouir sans retard des bienfaits de la liberté du commerce.

  1. Un spirituel orateur américain, M. Baldwin, actuellement juge suprême aux États-Unis, a dit avec justesse et malice du système de libre commerce de Canning et de Huskisson, « qu’il en était de ce système comme de la plupart des produits des manufactures anglaises, qui ont été fabriqués beaucoup moins pour la consommation du pays que pour l’exportation. »
          On ne sait si l’on doit rire ou pleurer quand on se rappelle avec quel enthousiasme les libéraux de France et d’Allemagne, mais surtout les théoriciens cosmopolites, entre autres J. B. Say, accueillirent l’annonce des réformes de Canning et de Huskisson. On eût dit, à leur allégresse, que le millénaire était arrivé. Écoutons ce que le biographe de M. Canning a dit des opinions de ce ministre sur la liberté du commerce : « M. Canning était pleinement convaincu de la vérité du principe abstrait que le commerce prospère d’autant plus qu’il est plus exempt d’entraves ; mais, comme telle n’avait été l’opinion ni de nos ancêtres, ni des nations qui nous environnent, et que des restrictions avaient été mises, en conséquence, à toutes les opérations commerciales, il en était résulté un état de choses dans lequel l’application irréfléchie du principe abstrait, quelle que fût la vérité de ce principe en théorie, pourrait avoir des conséquences désastreuses. » (Vie politique de M. Canning, par M. Stapleton.)
          En 1828, cette pratique anglaise se révéla de nouveau avec la plus grande clarté, lorsque le libéral M. Hume parla sans scrupule d’étrangler les fabriques du continent.