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remarques


de tomber sous une domination tyrannique, ne doit pas être permis entre des chrétiens : c’est ce zèle pour la patrie et la religion qui a consacré, sous le titre d’héroïsme, l’action de Judith, qui serait actuellement très criminelle.

S’il est permis à un général de se servir de ces derniers moyens, du moins est-il sûr qu’il y a de la honte pour ceux qui s’y prêtent et en deviennent les instrumens. Il n’en est pas de même de ceux qui se travestissent pour s’introduire dans une ville et là. livrer, ou pour observer ce qui se passe chez l’ennemi. Catinat se déguisa en charbonnier pour entrer dans Luxembourg et reconnaître l’état de la place. Quoique ce métier ne nous paraisse point honorable, il s’excuse cependant par le zèle du service et par son but désintéressé car dans le fond est-ce autre chose que ce que font tous les jours des officiers qui, à la faveur de la langue, se mêlent parmi l’ennemi ou qui, étant à la tête d’une troupe, trompent ceux qui viennent les reconnaître, en déguisant leur parti et donnant le mot qu’ils ont surpris ?

La reine de Carie, ayant battu la flotte des Rhodiens, arbora leurs pavillons et fit couronner les poupes de ses vaisseaux en signe de victoire. Les Rhodiens croyant que c’étaient leurs gens, les reçurent dans le port avec des acclamations de joie qui firent bientôt place à la douleur et à la honte.

En 1672, on s’empara d’un fort en Hollande, en faisant prendre aux troupes qu’on y employa des habits de Hollandais : elles s’approchèrent du fort en plein jour et feignant d’être poursuivies par les ennemis, demandèrent un asile. Le commandant, trompé par la langue que parlaient très bien plusieurs officiers et soldats, et par les habits, ouvrit les portes.

Le chevalier de Luxembourg, chargé de passer un convoi de poudre dans Lille, trompa de même la garde des lignes il eût fait passer toute sa troupe qui était de mille Chevaux avec chacun un sac de poudre en croupe, si quelqu’un, pour ne pas allonger la file, n’eût crié « Serre. » Cela les fit reconnaître ; la garde tira dessus, ferma la barrière et arrêta ce qui n’était pas passé.

Quoique dans tous les genres de stratagèmes, les nuances qui les différencient se rapprochent et paraissent quelquefois se confondre, il est cependant des notions qui n’échappent point aux idées de l’honneur et de la délicatesse. Par exempte, il serait bien permis à des officiers prisonniers et renfermés, de pratiquer des intelligences, de corrompre des habitans ou des soldats de la garnison, de donner des avis et de faire surprendre la place s’ils le pouvaient ; mais cela ne conviendrait point à ceux qui auraient la liberté sur leur parole. Toutes les occasions où elle est engagée directement, où elle établit une confiance réciproque, excluent la surprise, quel qu’avantage qui en revienne.

La guerre est un jeu, où, comme dans tous les autres, les ruses d’adresse et de finesse sont permises, et non la friponnerie. Ce mot de Lysandre « Qu’il faut amuser les enfans avec des osselets et les hommes avec des sermens,» est une maxime indigne d’être mise au rang des stratagèmes.

Lorsque le maître d’école de Phalère offrit à Camille de lui remettre entre les mains ses jeunes écoliers, Camille trouva cette action horrible, et se tournant vers ceux qui étaient avec