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sur polyen et frontin.


porter ont pu être approuvées, et méritèrent des récompenses, elles ne seraient pas moins jugées dignes de Marne parmi nous, qui devons nous conduire par les motifs de l’honneur. Les peuples d’Orient, enchaînés sous des despotes, n’avaient d’autres lois que leur volonté, et pliaient facilement leur esprit à toutes ces souplesses. Aussi les émigrations qui se firent à Rome des Grecs d’Asie, des Phéniciens et des Syriens, achevèrent-elles d’y corrompre la justice et les mœurs.

Il ne faut donc pas confondre, comme ont fait nos deux auteurs stratagématiques, les ruses avec les trahisons. Les premières sont toujours permises, jamais les autres ; et rien ne peut disculper celui qui manque à sa parole. Si l’on prend des engagemens téméraires, il est sage de s’en repentir ; mais il paraît qu’on ne doit plus rien faire qui aille directement contre ses sermons. On trouve dans l’histoire de Turenne un exemple mémorable de la fidélité qu’on doit à sa parole, ce qui prouve quels eussent été ses sentimens dans toute autre occasion. Ayant été arrêté par des voleurs, il leur promit cent louis pour conserver une bague qu’il chérissait. Un d’eux eut le lendemain la hardiesse de venir lui demander l’exécution de sa promesse : il fit donner l’argent et laissa le temps au voleur de s’éloigner avant de raconter l’aventure.

On peut donner à l’ennemi de faux avis, le tromper par des démonstrations feintes, l’attirer dans quelque piège mais le transfuge contracte par l’asile qu’il reçoit un engagement tacite que le droit des gens rend inviolable. Voilà pourquoi des gens de guerre scrupuleux ne voudraient pas se prêter à une ruse comme celle que Frontin attribue à Annibal le jour de la bataille de Cannes. Il envoya, dit-il, six cents cavaliers numides se rendre aux Romains, qui les désarmèrent et les mirent à l’arrière-garde. Lorsqu’on fut aux mains, ils tirèrent des épées courtes qu’ils portaient sous leurs casaques, et se saisissant des boucliers épars, chargèrent les Romains par derrière. Appien et Tite-Live rapportent le même fait comme une des causes de la perte de cette bataille, bien qu’il soit peu probable qu’un pareil stratagème eut pu contribuer beaucoup à la victoire d’Annibal.

Néanmoins ces sortes de ruses n’ont pas toujours paru illégitimes. On a souvent fait déserter des soldats qui se rendaient dans une place à dessein de s’y emparer d’une porte, ou d’en faciliter la prise par quelque autre voie. On a fait passer à l’ennemi de faux transfuges pour lui donner des avis qui pussent l’engager dans de mauvais pas. Hermocrate, qui commandait dans Syracuse, ayant su que les Athéniens, après leur dernière défaite devant cette place étaient résolus de se retirer, leur envoya dire que leurs amis les avertissaient, de ne point se mettre en marche la nuit, s’ils voulaient éviter les embuscades qu’on leur avait préparées. Nicias leur général le crut, différa jusqu’au lendemain, et donna le temps à Hermocrate de faire occuper les passages et les défilés, et de les défaire entièrement.

Grotius admet toute entreprise sur le chef des ennemis par la voie de là surprise en se glissant, par exemple, furtivement ou déguisé dans le camp ou dans la ville ; il s’appuie de quelques exemples anciens, entre autres de celui de Mutius Scévola et d’Eléazar. Mais ce que l’intérêt de la religion ou l’amour de la liberté pouvait faire entreprendre autrefois, dans la crainte