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remarques


pas même l’idée au prince de souhaiter un pareil sacrifice et s’il l’exigeait encore, l’honneur aurait droit de mettre une barrière à la soumission. On sait la réponse de Crillon à Louis XIII, lorsqu’il lui proposa de tuer le maréchal d’Ancre : « Ma vie et mes biens sont à vous, Sire ; mais je serais indigne du nom français si je manquait aux lois de l’honneur. » Il offrit de se battre contre le maréchal l’épée à la main.

Mithridate avait dans son armée un seigneur dardanien nommé Olthacus, bien fait, dit Plutarque, hardi et estimé par son bon sens, sa politesse et ses agrémens. Il offrit au roi, pour gagner sa bienveillance, de tuer Lucullus : le roi l’approuva, et pour lui fournir un prétexte, lui fit des outrages devant tout le monde. Olthacus, paraissant ne respirer que la vengeance, se retira vers Lucullus, et gagna si bien sa confiance par sa valeur, son esprit et ses manières insinuantes, qu’il le faisait manger avec lui et l’appelait à tous ses conseils. Croyant un jour avoir trouvé l’occasion favorable d’exécuter son projet, il alla sur le midi à ta tente du général comme pour lui parler d’affaires importantes. Heureusement pour Lucullus, il dormait : ses gens ne voulurent point laisser entrer le Bardanien, quelque instance qu’il pût faire ; de sorte que craignant d’être découvert, il s’enfuit. Cette voie de se débarrasser de son ennemi était une perfidie, que les défaites de Mithridate et l’extrémité la plus dure ne peuvent justifier. On connaît le caractère de Louis XI, et sa politique peu scrupuleuse ; néanmoins de pareils moyens lui paraissaient odieux. Campobasse, officier du duc de Bourgogne, qu’il faisait solliciter d’entrer à son service, non seulement y consentit, mais s’offrit de tuer son maître ou de le lui livrer : le roi eut horreur de sa trahison, et malgré la haine qu’il portait au duc, il l’en avertit. Cet avis fut négligé, parce que le duc de Bourgogne, prévenu pour Campobasse, crut que c’était un moyen dont on se servait pour lui rendre suspect un de ses meilleurs officiers qu’on n’avait pu gagner. Cette confiance aveugle lui coûta dans la suite la vie à la bataille de Nancy, car il y fut trahi par ce même Campobasse.

Oronte et Rhéomitre étaient deux satrapes qui commandaient dans les provinces de l’Asie mineure, lorsqu’elles se soulevèrent sous le règne d’Artaxerxès Mnémon. Ils se mirent à la tête des rebelles et reçurent d’eux l’argent destiné à lever des troupes, chacun dans son département. Après s’être attiré leur confiance, ils firent assembler un jour les chefs du parti, elles livrèrent au prince. Ceux qui prétendent qu’il est permis d’user de toutes sortes de voies pour réduire les rebelles ne regarderont pas ceci comme une perfidie : il est du moins certain que c’est une lâcheté.

La rébellion est un crime qu’il faut poursuivre par toutes les voies de la puissance et de l’autorité. On peut même y employer l’adresse ; par exemple, si l’on était sollicité de livrer une place, ou d’entrer dans quelque conspiration contre son pays, on pourrait feindre d’en écouter favorablement les propositions, pour mieux découvrir la trame et en donner aussitôt avis. Mais on ne doit prendre aucun engagement sous la foi du serment. Celui qui ne se ferait pas un scrupule de servir ainsi sa patrie, serait avec raison soupçonné d’être tout aussi capable de la trahir.

Si les actions que je viens de rap-