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REMARQUES
SUR
POLYEN et FRONTIN


ARTICLE PREMIER.

S’il était permis d’user de tous les moyens à la guerre, pour réussir dans ses desseins, cet art, qui est celui de vaincre par la valeur, la prudence et l’adresse, deviendrait l’école des plus grands crimes. Les hommes s’habitueraient à ta trahison, et bientôt se feraient gloire des actions les plus odieuses. Mais il est une règle pour en fixer le choix, et mesurer la distance qui sépare la finesse de la perfidie. L’honneur et la probité feront toujours comprendre où il faut marquer le point de séparation.

Vous connaissez la résolution de Zopyre, qui, pour rendre Darius maître de Babylone, se fit couper le nez et les oreilles, et vint en cet état se présenter aux Babyloniens, comme une victime de l’injustice et de la cruauté de son maître. Son but était de s’attirer leur confiance, et de leur ôter tout soupçon. Les trop crédules Babyloniens n’hésitèrent point à recevoir un des principaux seigneurs de Perse, qui devait conserver le plus vif ressentiment du traitement indigne qu’il paraissait avoir reçu : ils lui donnèrent le commandement de leurs troupes et lui confièrent la garde de leur ville, dans laquelle il introduisit bientôt Darius. Tarquin se servit d’un moyen semblable pour s’emparer de la ville de Gabie. Il fit maltraiter Sextus son plus jeune fils, qui se réfugia chez les Gabiens, s’attira leur confiance par beaucoup d’exploits contre les Romains, et gagna si bien leur estime qu’ils en firent leur général. Lorsqu’il fut revêtu du pouvoir, il se défit, par le conseil son père, des plus puissans des Gabiens. Cette ruse perfide, était digne d’un tyran tel que Tarquin : on vit heureusement d’autres vertus paraître dans la république.

J’ai entendu quelquefois parler avec éloge de l’action de Zopyre, et traiter même d’héroïsme un si généreux dévouement. Mais n’y voit-on pas dans le fond une perfidie, une trahison infâme ? Si quelque chose peut justifier Zopyre, c’est le génie des peuples d’Orient, où l’impression du despotisme asservit les esprits. Dans un gouvernement monarchique, il ne viendrait