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ignore la matérialité des choses, il n’y a point touché. Il chante amoureusement, avec des mots qui sont subtilement cadencés par une musique intérieure, le bonheur ineffable de vivre. « Nulle part, dit son fidèle ami Grégoire Le Roy, dans aucune œuvre de poète, depuis les païens la tristesse n’est ainsi bannie, presque avec rigueur, comme une chose laide, un sentiment indigne de la poésie. »[1]Jamais en effet un poète ne célébra les beautés de la nature et les grâces de la femme sur un mode plus lyriquement panthéiste. Fortement impressionné à ses débuts par les vieux maîtres flamands et par les préraphaélites anglais, il créa autour de sa pensée un royaume merveilleux, un beau pays légendaire, aux paysages bleutés et vaporeux, peuplés de figures mystérieuses et à peine entrevues ; ce sont de blanches images de pures jeunes filles, aux mains fleuries de grands lys, aux yeux perdus dans l’infini d’un rêve dont la beauté met sur leurs lèvres le sourire des femmes du Vinci. Ces figures devinées plus encore que contemplées, il les évoqua dans Les Entrevisions. Livre d’une poésie au charme indéfinissable, tant les sentiments y sont suggérés plus que définis et les gestes esquissés plutôt que dessinés d’un trait net. Art sobre et transparent, pareil à celui des peintres japonais, dont les douces mousmés, par un jour de printemps tout parfumé par les péchés en fleurs, se promènent dans de beaux jardins aux teintes claires.

  1. Grégoire Le Roy : Charles Van Lerberghe. (La Belgique Art. et Litt., décembre 1907).