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ment la main du moine, et la pressa sur ses lèvres brûlantes.

« Ambrosio ! » murmura-t-elle d’une voix tendre et tremblante.

Le prieur tressaillit à ce son : il tourna les yeux sur Mathilde ; elle avait les siens remplis de larmes ; sa joue était couverte de rougeur, et ses regards suppliants semblaient lui demander grâce.

« Femme dangereuse ! « dit-il, « dans quel abîme de misère vous m’avez plongé ! Si l’on découvre votre sexe, mon honneur, ma vie elle-même, devront payer quelques instants de plaisir. Insensé que je suis de m’être livré à vos séductions ! Que faire à présent ? comment expier mon offense ? quel sacrifice peut acheter le pardon de mon forfait ? Malheureuse Mathilde, vous avez à jamais détruit mon repos ! »

« À moi ces reproches, Ambrosio ? à moi qui ai renoncé pour vous aux plaisirs du monde, au luxe de la richesse, à la délicatesse de mon sexe, à mes amis, à ma fortune et à ma réputation ? Qu’avez-vous perdu que j’aie conservé ? n’ai-je pas partagé votre crime ? n’avez-vous pas partagé mon plaisir ? Crime, ai-je dit ? en quoi consiste le nôtre, si ce n’est dans l’opinion d’un monde sans jugement ? Que ce monde l’ignore, et nos joies deviennent divines et irréprochables. Vos vœux de célibat étaient contre nature ; l’homme n’a pas été créé pour un tel état, et si l’amour était un crime, Dieu ne l’aurait pas fait si doux et si irrésistible. Bannissez donc ces nuages de votre front, mon Ambrosio ; goûtez librement ces voluptés, sans lesquelles la vie est un don méprisable. Cessez de me reprocher de vous avoir appris ce que c’est que le bonheur, et sentez un transport égal à celui de la femme qui vous adore ! »