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incertain sur la conduite qu’il devait tenir avec l’ennemie de son repos ; sa conscience lui disait que la prudence, la religion et les convenances lui imposaient l’obligation de la renvoyer du couvent ; mais, d’un autre côté, des raisons si puissantes la retenaient, qu’il n’était que trop porté à consentir qu’elle restât. Il ne pouvait s’empêcher d’être flatté de la déclaration de Mathilde, et de la pensée que, sans le vouloir, il avait triomphé d’un cœur qui avait résisté aux attaques des plus nobles cavaliers de l’Espagne. La manière dont il avait gagné cette affection était aussi très satisfaisante pour sa vanité. Il se rappelait toutes les heures si heureuses qu’il avait passées dans la société de Rosario, et il craignait pour son cœur le vide que cette séparation y laisserait. En outre, il considérait que, riche comme elle était, la bienveillance de Mathilde pouvait être extrêmement avantageuse au couvent.

« Et que risqué-je, » se dit-il, « à lui permettre d’y rester ? Ne puis-je sans péril ajouter foi à ses assurances ? Ne me sera-t-il pas facile d’oublier son sexe et de continuer à ne voir en elle que mon ami et mon élève ? Certainement son amour est aussi pur qu’elle le dépeint ; s’il avait pris sa source dans les désirs des sens, l’aurait-elle si longtemps renfermé dans son sein ? n’aurait-elle pas employé quelque moyen de le satisfaire ? Elle a fait tout le contraire ; elle s’est efforcée de me cacher son sexe, et c’est la crainte d’être découverte, ce sont mes instances qui seules lui ont arraché son secret. Elle a accompli ses devoirs de religion aussi strictement que moi ; elle n’a fait aucune tentative pour exciter mes passions endormies, et jamais avant ce soir l’amour n’a été le sujet de ses entretiens avec moi. Si elle avait désiré d’obtenir mon affection et non mon estime, elle ne m’aurait pas celé si