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la vie, à une réclusion volontaire. Je cherche en vain un tel homme ; je ne connais que moi qui sois capable d’une telle résolution. La religion ne peut pas se vanter d’un autre Ambrosio ! Quel puissant effet mon sermon a produit sur ses auditeurs ! comme ils se pressaient autour de moi ! comme ils m’accablaient de bénédictions, et me proclamaient la seule colonne inébranlable de l’église ! Maintenant que me reste-t-il à faire ? rien, que de veiller aussi soigneusement sur la conduite de mes frères que j’ai veillé sur la mienne. Mais quoi ! ne puis-je être détourné de ces sentiers que j’ai suivis jusqu’ici sans m’égarer un instant ? ne suis-je pas un homme, et comme tel, de nature fragile, et enclin à l’erreur ? Il faut à présent que j’abandonne la solitude de ma retraite ; les plus belles et les plus nobles dames de Madrid se présentent continuellement au monastère, et ne veulent pas d’autre confesseur ; je dois habituer mes yeux à des objets de tentation, et m’exposer aux séductions des sens. Si, dans ce monde où je suis forcé d’entrer, je rencontrais une femme adorable — adorable comme vous — belle madone !… »

En parlant, il fixa ses yeux sur un portrait de la Vierge, qui était suspendu en face de lui : ce portrait, depuis deux ans, était pour lui l’objet d’un culte de plus en plus fervent. Il s’arrêta, et le contempla avec ravissement.

« Que cette figure est belle ! » poursuivit-il, après un silence de quelques minutes ; « que la pose de cette tête est gracieuse ! quelle douceur, et pourtant quelle majesté dans ces yeux divins ! comme sa joue repose mollement sur sa main ! la rose peut-elle rivaliser avec cette joue ? le lis a-t-il la blancheur de cette main ? Oh ! s’il existait une telle créature, et qu’elle n’existât que pour moi ! s’il m’était permis de rouler sur mes doigts ces boucles dorées, et de presser sur mes lèvres les trésors de ce sein de