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« Très chère tant ! » dit Antonia, « accordez-le moi pour cette fois ! laissez-moi entendre ma bonne aventure ! »

« Sottise, enfant ! elle ne vous dira que des faussetés. »

« C’est égal, laissez-moi du moins écouter ce qu’elle a à dire ; je vous en prie, ma chère tante, faites-moi ce plaisir. »

« Bien, bien ! Antonia, puisque vous l’avez si fort à cœur. Ici, bonne femme ; voyez nos mains à toutes deux. Voilà de l’argent pour vous, et maintenant tirez-moi mon horoscope. »

À ces mots, elle ôta son gant, et lui tendit sa main : la bohémienne y fixa les yeux un moment, puis elle fit cette réponse :

LA BOHÉMIENNE.

« Votre horoscope ? vous êtes à présent si vieille, ma brave dame, qu’il est déjà tout tiré : cependant, pour votre argent, je vais tout de suite vous donner un avis. Surpris de votre vanité puérile, vos amis vous taxent tous de démence, et gémissent de vous voir user d’artifice pour attraper le cœur de quelque jeune amant. Croyez-moi, dame, vous avez beau faire, vous n’en avez pas moins cinquante et un ans, et les hommes s’éprennent rarement d’amour pour deux yeux gris qui louchent. Suivez donc mes conseils ; laissez de côté votre rouge et vos mouches, la luxure et l’orgueil, et distribuez aux pauvres l’argent que vous dépensez en toilette inutile ; pensez à votre créateur et non aux amants ; pensez à vos fautes passées, et non à l’avenir ; pensez que la faux du temps moissonnera promptement le peu de cheveux roux qui ornent votre front. »

L’auditoire éclatait de rire pendant le discours de la bohémienne ; et « cinquante et un, les yeux louches, les cheveux roux, le rouge et les mouches, etc., » passaient de bouche en bouche. Léonella faillit étouffer de colère,