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carpée, là-bas, la brise du soir apporte à mon oreille les sons de ma langue natale.

Appuyé sur un roc couronné de mousse, et chantant gaîment, la le pêcheur sèche ses filets au soleil. Souvent j’ai entendu la plaintive ballade, mettant devant mes yeux chagrins des scènes de bonheur passé.

Heureux paysan ! Il attend l’heure accoutumée où l’ombre du crépuscule obscurcit le ciel qui se ferme. Alors il regagne avec plaisir son bois chéri, le bois de ses pères, et prend sa part du repas fourni par son champ natal.

L’amitié et l’amour, hôtes de sa chaumière, accueillent sa bienvenue avec un souris sincère ; nulle menace de malheur ne lui gâte les joies présentes ; son sein n’a point un soupir, sa joue n’a pas une larme.

Heureux paysan ! La fortune qui me refuse un tel bonheur me fait porter envie à ton lot ; moi qui, fuyant mes foyers et l’Espagne, dis à tout ce que je prise, à tout ce que j’aime, adieu !

Mon oreille n’entendra plus la chanson bien connue, chantée par une fille des montagnes qui garde ses chèvres, par un villageois implorant l’amoureuse merci, ou par un berger poussant sans art ses notes rustiques.

Mes bras ne connaîtront plus les tendres embrassements d’un père, ni mon cœur le calme domestique ; loin de ces joies, avec des soupirs arrachés par la mémoire, je pars pour des cieux étouffants et des climats lointains,

Où les soleils de l’Inde engendrent des maladies nouvelles, où pullulent les tigres et les serpents. C’est là que tend ma course ; je vais braver la soif fiévreuse que rien n’apaise, la peste jaune et les feux du jour qui rendent fou.

Mais sentir de lentes tortures consumer mon foie ; mourir peu à peu à la fleur de l’âge ; voir tout mon sang qui bout, tari par l’insatiable lièvre, et mon cerveau délirer, en proie à la rage de l’astre du jour ;

Non, rien de tout cela ne peut me faire connaître la douleur, comme de me séparer de toi avec des soupirs amers, ô terre chérie ! comme de sentir que ce cœur doit t’adorer à jamais, et que toutes les joies me sont ravies !