Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il s’oppose à ce mariage lorsqu’il verra que mon bonheur en dépend. Mais en supposant même qu’il refusât sa sanction, qu’ai-je à craindre ? Mes parents ne sont plus ; je suis maître de ma petite fortune ; elle suffira pour soutenir votre fille, et j’échangerai contre sa main le duché de Médina sans un soupir de regret. »

« Vous êtes jeune et ardent ; je ne m’étonne pas de vos idées. Mais l’expérience m’a appris à mes dépens que le malheur accompagne les alliances inégales. J’ai épousé le comte de Las Cisternas contre le gré de ses parents ; bien des angoisses de cœur m’ont punie de cette imprudence. Partout où nous portions nos pas, la malédiction d’un père a poursuivi Gonzalvo. La pauvreté nous a accablés, et nous n’avions pas un ami qui nous assistât. Notre affection mutuelle existait toujours, mais, hélas ! non plus sans interruption. Habitué à la richesse et à l’aisance, mon mari supportait mal l’indigence et la détresse. Il regrettait la position qu’il avait quittée pour moi ; et dans les moments où le désespoir s’emparait de son âme, il me reprochait de l’avoir associé au besoin et à la misère. Il m’appelait son fléau, la source de ses malheurs, la cause de sa perte ! Ah ! Dieu ! il ne savait pas que les reproches de mon cœur étaient encore plus cuisants ; il ignorait que mes souffrances étaient triples, que je souffrais pour moi, pour ma fille et pour lui. Il est vrai que son emportement ne durait guère. Sa sincère affection pour moi se réveillait bientôt dans son cœur, et alors son repentir me torturait plus encore que ses reproches. Il se jetait à mes pieds, implorait mon pardon dans les termes les plus frénétiques, et se maudissait d’être le destructeur de mon repos. Instruit par cette expérience, je veux préserver ma fille des maux que j’ai soufferts. Sans l’aveu de votre oncle, jamais, tant