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les fers de Julie, les flammes ardentes qui me brûlaient le sein, mes nuits privées de sommeil, les angoisses jalouses qui me torturaient le cœur, mes espoirs déçus et ma passion dédaignée.

« Fuis donc, et n’afflige pas plus longtemps ma vue ! Fuis de ma paisible chaumière ! Tu ne resteras ni un jour, ni une heure, ni un instant. Je connais ta fausseté ; je méprise tes ruses ; je me défie de tes sourires, et je crains tes flèches. Va-t’en, fourbe, cherche quelque autre à trahir. »

« L’âge, vieillard, trouble-t-il vos esprits ? » répliqua le dieu offensé, et il fronça le sourcil. (Son sourcil froncé avait toute la douceur d’un sourire de vierge.) « Est-ce à moi que vos paroles s’adressent ? à moi, qui ne vous aime pas moins, quoique vous méprisiez mon amitié et que vous dépréciiez les plaisirs passés ?

« S’il vous est arrivé de rencontrer une belle hautaine, des centaines d’autres nymphes vous furent bienveillantes, et leurs sourires ont pu compenser les rebuts de Julie. Mais tel est l’homme ! sa main partiale inscrit sur le sable des faveurs sans nombre, et grave la plus petite faute sur la pierre solide et durable.

« Ingrat ! qui vous conduisit à midi vers l’onde où Lesbia aimait à se baigner ? qui vous nomma le bocage où Daphné reposait seule ? et qui, lorsque Célia criait au secours, vous conseilla d’étouffer sa voix sous vos baisers ? Quel autre était-ce que l’amour ? oh ! dites, méchant Anacréon !

« Alors vous saviez m’appeler gentil enfant, mon seul bonheur, ma source de joie ; alors vous me prisiez plus que votre âme. Vous m’embrassiez, vous me faisiez danser sur vos genoux, et vous juriez que le vin lui-même ne vous plaisait pas si la lèvre de l’amour n’avait pas d’abord touché la coupe écumante.

« Ces beaux jours ne reviendront-ils plus ? aurai-je toujours à déplorer votre perte ? suis-je à jamais banni de votre cœur, exclu de vos bonnes grâces ? Ah ! non : ce sourire dément mes craintes ; ce sein qui se gonfle, ces yeux brillants déclarent que je vous suis toujours cher, et que toutes mes fautes sont pardonnées.

« De nouveau chéri, estimé, caressé, l’amour sera pressé