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telligibles pour moi. Alors, relevant sa tête de dessus le livre et étendant le crucifix vers le fantôme, il dit d’un ton distinct et solennel :

« Béatrix ! Béatrix ! Béatrix ! »

« Que veux-tu ? » bégaya l’apparition d’une voix creuse.

« Quelle cause trouble ton sommeil ? pourquoi persécuter et torturer ce jeune homme ? que faut-il pour rendre le repos à ton esprit inquiet ? »

« Je n’ose le dire ! je ne dois pas le dire ! Je voudrais bien pouvoir reposer dans ma tombe, mais des ordres sévères me forcent de prolonger ma pénitence ! »

« Connais-tu ce sang ? sais-tu dans les veines de qui il coula ? Béatrix ! Béatrix ! en son nom, je te somme de me répondre ! »

« Je n’ose pas désobéir à mes maîtres. »

« Oses-tu me désobéir ? »

« Il parlait d’un ton impérieux, et il ôta son bandeau noir. En dépit de sa défense, la curiosité ne me permit pas de tenir les yeux baissés : je les levai, et je vis sur son front une croix de feu. Je ne puis m’expliquer l’horreur dont cette vue me pénétra, mais je n’ai jamais rien senti de pareil. Mes sens m’abandonnèrent un moment ; un effroi mystérieux domina mon courage ; et si l’exorciseur ne m’avait pris la main, je serais tombé hors du cercle.

« Quand je revins à moi, je m’aperçus que la croix de feu avait produit un effet non moins violent sur la nonne : sa contenance exprimait la vénération et l’horreur, et ses membres de fantôme s’entre-choquaient de crainte.

« Oui ! dit-elle enfin, « je tremble à ce signe ! je le respecte ! je vous obéis ! Sachez donc que mes os sont encore sans sépulture ; ils pourrissent dans l’obscurité du trou de Lindenberg. Nul autre que ce jeune homme n’a le droit de les déposer au tombeau. Ses lèvres m’ont cédé