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vent. Irritée de ma conduite, et dégoûtée du monde en général, elle consentit à recevoir le voile. Elle passa au château de Lindenberg un autre mois, pendant lequel ma non apparition confirma sa résolution, et puis elle accompagna don Gaston en Espagne. Théodore fut remis alors en liberté. Il s’empressa d’aller à Munich, où j’avais promis de lui donner de mes nouvelles : mais apprenant de Lucas que je n’y étais point arrivé, il poursuivit ses recherches avec une infatigable persévérance, et enfin réussit à me rejoindre à Ratisbonne.

« J’étais tellement changé qu’il eut peine à reconnaître mes traits ; la douleur empreinte sur les siens témoignait suffisamment le vif intérêt qu’il prenait à moi. La société de cet aimable enfant, que j’avais toujours considéré plutôt comme un compagnon que comme un domestique, était ma seule consolation. Sa conversation était gaie, et pourtant sensée, et ses observations étaient fines et piquantes. Il avait plus d’acquit qu’on n’en a d’ordinaire à son âge ; mais ce qui m’était le plus agréable, c’est qu’il avait une voix délicieuse, et qu’il n’était pas du tout mauvais musicien. Il ne manquait pas non plus de goût pour la poésie, et il s’essayait même quelquefois à faire des vers ; il composait souvent de petites ballades en espagnol. Ses vers n’étaient que médiocres, je dois l’avouer ; mais ils me plaisaient par leur nouveauté, et les lui entendre chanter sur sa guitare était le seul amusement que je fusse capable de goûter. Théodore s’apercevait bien que quelque chose me minait l’esprit ; mais, comme je cachais même à lui la cause de mon chagrin, le respect ne lui permettait pas de s’immiscer dans mes secrets.

« Un soir, j’étais couché sur mon sofa et plongé dans des réflexions qui étaient loin d’être agréables ; Théo-