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dans son regard. Enfin, d’une voix sourde et sépulcrale, elle prononça les paroles suivantes :

« Raymond ! Raymond ! tu es à moi ! Raymond ! Raymond ! je suis à toi ! Tant que le sang coulera dans tes veines, je suis à toi ! tu es à moi ! À moi ton corps ! à moi ton âme ! »

« Je ne pouvais plus respirer d’épouvante en l’entendant répéter mes propres expressions. L’apparition s’assit en face de moi, au pied du lit, et resta muette. Ses yeux étaient constamment fixés sur les miens : ils semblaient doués de la propriété de ceux du serpent à sonnettes ; car j’essayais en vain de ne pas la voir. Mes yeux étaient fascinés, et je n’avais pas la force d’éviter ceux du spectre.

« Il demeura dans cette posture une grande heure sans parler ni bouger ; et j’étais moi-même hors d’état d’en rien faire. Enfin l’horloge sonna deux coups. L’apparition se leva et s’avança à côté du lit. Elle saisit de ses doigts glacés ma main qui pendait sans vie sur la couverture ; et, pressant ses froides lèvres sur les miennes, elle redit encore :

« Raymond ! Raymond ! tu es à moi ! Raymond ! Raymond ! je suis à toi ! » etc.

« Alors elle quitta ma main, sortit de la chambre à pas lents, et la porte se referma sur elle. Jusqu’à ce moment toutes les facultés de mon corps avaient été suspendues ; celles de mon âme seules étaient restées éveillées. Le charme venait de cesser d’opérer : le sang, qui s’était gelé dans mes veines, revint avec impétuosité à mon cœur ; je poussai un profond gémissement et retombai sans vie sur mon oreiller.

« La chambre voisine n’était séparée de la mienne que par une mince cloison ; elle était occupée par l’hôte et sa femme : il fut éveillé par mon gémissement, et entra en