Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler ou de remuer, elle exprima sa fureur par ses regards ; et, excepté pour ses repas, je n’osai jamais la délier ni lui ôter son bâillon. En ces instants même, je tenais sur elle une épée nue, lui protestant que, si elle poussait le moindre cri, je la lui plongerais dans le cœur. Dès qu’elle avait fini de manger, je lui remettais le bâillon. Je sentais bien que le procédé était cruel, et que la nécessité seule où nous nous trouvions pouvait le justifier. Quant à Théodore, il n’en avait pas le moindre scrupule ; la captivité de Cunégonde l’amusait infiniment. Au château, ils avaient toujours été en guerre, et à présent qu’il se voyait maître absolu de son ennemie, il triomphait sans pitié. Il ne semblait occupé qu’à trouver de nouveaux moyens de la tourmenter : quelquefois il feignait de plaindre son infortune ; puis il riait et médisait d’elle, et la contrefaisait ; il lui jouait mille tours, tous plus irritants l’un que l’autre, et se plaisait à lui répéter que son enlèvement devait avoir causé beaucoup de surprise chez le baron. C’était bien la vérité ; excepté Agnès, personne ne pouvait imaginer ce qu’était devenue dame Cunégonde. On la cherchait dans tous les coins et recoins : on vidait les étangs, les bois étaient soumis aux plus exactes perquisitions ; et pourtant, de dame Cunégonde point de nouvelles. Agnès gardait le secret, et moi je gardais la duègne : la baronne restait donc dans une complète ignorance du sort de la vieille ; mais elle croyait à un suicide. Ainsi se passèrent les cinq jours, durant lesquels j’eus à préparer tout ce qui était nécessaire à mon entreprise. — En quittant Agnès, mon premier soin avait été de dépêcher à Munich un paysan avec une lettre pour Lucas, dans laquelle je lui ordonnais d’avoir soin qu’une voiture attelée de quatre chevaux arrivât à dix heures du soir, le 5 mai, au village de Rosenwald. Il