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une légère inclination de tête, comme elle aurait fait à un inférieur, et regarda d’autre côté jusqu’à ce que la voiture fût hors de vue.

« La nuit si longtemps attendue, si longtemps désirée, arriva. Elle était calme, et la lune était dans son plein. Aussitôt que l’horloge sonna onze heures, je courus au rendez-vous, tant j’avais peur d’arriver trop tard. Théodore s’était muni d’une échelle ; j’escaladai sans difficulté le mur du jardin ; le page me suivit, et retira l’échelle après nous. Je me postai dans le pavillon de l’ouest, et j’attendis impatiemment l’arrivée d’Agnès. Chaque brise qui soufflait, chaque feuille qui tombait, je les prenais pour son pas, et je m’élançais à sa rencontre : c’est ainsi qu’il me fallut passer une heure entière, dont chaque minute me parut un siècle. Enfin l’horloge du château sonna minuit, et j’avais peine à croire que la nuit ne fût pas plus avancée ; un autre quart d’heure s’écoula, et j’entendis le pas léger de ma maîtresse qui s’approchait du pavillon avec précaution. Je volai au-devant d’elle et je la conduisis à un siège ; je me jetai à ses pieds, et j’exprimais ma joie de la voir, lorsqu’elle m’interrompit en ces termes :

« Nous n’avons pas de temps à perdre, Alphonse : les moments sont précieux ; car bien que je ne sois plus prisonnière, Cunégonde surveille tous mes pas. Un exprès de mon père vient d’arriver ; il faut que je parte immédiatement pour Madrid, et c’est avec difficulté que j’ai obtenu un délai d’une semaine. La superstition de mes parents, soutenue par les représentations de ma cruelle tante, ne me laisse aucune espérance d’émouvoir leur compassion. Dans cette perplexité, j’ai résolu de me confier à votre honneur. Dieu veuille que vous ne me donniez jamais sujet de me repentir de ma résolution ! La fuite