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« L’étrangeté de ce récit avait peu à peu captivé mon attention.

« N’a-t-elle jamais parlé à ceux qui l’ont rencontrée ? » dis-je.

« Non, les échantillons qu’elle donnait la nuit de son talent de conversation n’étaient certes pas faits pour tenter. Quelquefois, le château retentissait de serments et d’imprécations ; un moment après, elle répétait un Pater noster ; tantôt elle hurlait les plus horribles blasphèmes, tantôt elle chantait De profundis aussi méthodiquement que si elle était encore au chœur. Bref, elle avait l’air d’une personne singulièrement capricieuse ; mais, soit qu’elle priât, soit qu’elle jurât, qu’elle fût impie ou dévote, toujours elle a tâché d’épouvanter ses auditeurs. Le château devint presque inhabitable, et le propriétaire fut si effrayé de ces réjouissances nocturnes, qu’un beau matin on le trouva mort dans son lit. Ce succès sembla faire grand plaisir à la nonne, car elle fit plus de tapage que jamais. Mais le baron suivant se montra trop fin pour elle : il fit son entrée escorté d’un célèbre exorciseur, qui ne craignit pas de s’enfermer tout une nuit dans la chambre où elle revenait. Là, il paraît qu’il eut un rude combat à soutenir contre elle avant d’obtenir la promesse qu’elle se tiendrait tranquille. Elle avait de l’entêtement, mais lui encore plus, et enfin elle consentit à laisser les habitants du château dormir leur pleine nuit. De quelque temps après on n’entendit plus parler d’elle. Mais au bout de cinq ans, l’exorciseur mourut, et la nonne se hasarda à reparaître ; cependant, elle était devenue bien plus traitable et bien mieux apprise ; elle rôdait en silence, et ne faisait plus d’apparition qu’une fois tous les cinq ans. Si vous en croyez le baron, elle est toujours fidèle à cette coutume : il est pleinement per-