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à l’air revêche. Elle envisageait avec dégoût l’avenir qu’on lui réservait : cependant, comme elle n’avait pas le choix, elle se résignait à la volonté de ses parents, mais non sans en gémir au fond du cœur.

« Elle n’était pas assez rusée pour cacher longtemps cette répugnance : don Gaston en fut instruit. Craignant, Lorenzo, que votre affection pour elle n’entravât ses projets, et que vous ne missiez obstacle au malheur de votre sœur, il résolut de vous cacher toute l’affaire aussi bien qu’au duc, jusqu’à ce que le sacrifice fût consommé. La prise de voile fut fixée à l’époque où vous seriez en voyage, et en attendant on ne fit pas mention du fatal vœu de doña Inesilla. Votre sœur ne put obtenir de savoir votre adresse. Toute vos lettres étaient lues avant de lui être remises, et on en effaçait les passages qui paraissaient de nature à entretenir son goût pour le monde ; ses réponses lui étaient dictées, soit par sa tante, soit par la dame Cunégonde, sa gouvernante. Je tiens ces détails en partie d’Agnès, en partie de la baronne elle-même.

« Je me déterminai sur-le-champ à arracher cette charmante fille à un sort si contraire à ses inclinations, et si peu conforme à son mérite. Je m’efforçai de m’insinuer dans ses bonnes grâces ; je me vantai de mon affection pour son frère. Ma cour assidue gagna enfin son cœur, et je parvins, non sans difficulté, à lui faire avouer qu’elle m’aimait ; mais lorsque je lui proposai de quitter le château de Lindenberg, elle rejeta formellement cette idée.

« Soyez généreux, Alphonso, » dit-elle, « vous êtes maître de mon cœur, n’abusez pas du don que je vous ai fait. N’employez pas votre ascendant sur moi à m’entraî-