Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes fils chéris au pouvoir de mon tyran, et je tremblais encore plus pour leur vertu que pour leur vie. Le cadet était trop jeune pour profiter de mes leçons, mais je travaillai sans relâche à semer dans le cœur de l’aîné les principes qui pouvaient le mettre en état d’éviter les crimes de ses parents. Il m’écoutait avec docilité, ou plutôt avec avidité. Même à cet âge si tendre, il montrait qu’il n’était pas fait pour vivre avec des criminels, et ma seule consolation au milieu de mes peines, était de voir les vertus naissantes de mon Théodore.

« Telle était ma situation quand don Alphonso fut conduit à la cabane par son perfide postillon. Sa jeunesse, sa physionomie et ses manières m’intéressèrent extrêmement en sa faveur. L’absence des fils de mon mari me fournit une occasion que j’avais longtemps désirée, et je résolus de tout risquer pour sauver ce voyageur. La vigilance de Baptiste m’empêcha d’avertir don Alphonso du danger qu’il courait. Je savais que mon indiscrétion serait aussitôt punie de mort, et, malgré l’amertume de ma vie, je ne me sentais pas le courage de la sacrifier pour sauver celle d’un autre. — Mon seul espoir était d’obtenir du secours de la ville ; ceci, je résolus de le tenter ; et s’il s’offrait quelque occasion de prévenir don Alphonso sans être remarquée, je me déterminai à la saisir avidement. Par les ordres de Baptiste, je montai faire le lit de l’étranger : j’y mis les draps dans lesquels un voyageur avait été assassiné quelques nuits auparavant, et qui étaient encore tachés de sang ; j’espérai que ces taches n’échapperaient pas à l’attention de notre hôte, et qu’elles le mettraient sur la voie des desseins de mon traître de mari. Cette précaution ne fut pas la seule. Théodore était malade au lit : je me glissai dans sa chambre sans être vue par mon tyran ; je lui communiquai mon projet, dans