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par le vol, je ne connaissais pas tous les horribles détails de la profession de mon amant ; il me les cachait avec le plus grand soin. Il savait que mes sentiments n’étaient point assez dépravés pour envisager l’assassinat sans horreur. Il supposait, et avec raison, que j’aurais fui avec exécration les embrassements d’un meurtrier. Huit années de possession n’avaient point affaibli son amour pour moi, et il dérobait scrupuleusement à ma connaissance chaque circonstance qui aurait pu me mener au soupçon des crimes auxquels il ne participait que trop souvent. Il y réussit parfaitement. Ce ne fut qu’après la mort de mon séducteur, que je découvris que ses mains s’étaient souillées du sang de l’innocence.

« Une fatale nuit, il fut rapporté à la caverne, criblé de blessures : il les avait reçues en attaquant un voyageur anglais, que les autres voleurs avaient aussitôt sacrifié à leur ressentiment. Il n’eut que le temps de me demander pardon de tous les chagrins qu’il m’avait causés ; il pressa ma main sur ses lèvres, et expira. Ma douleur fut inexprimable. Aussitôt que la violence en fut diminuée, je résolus de retourner à Strasbourg, de me jeter avec mes deux enfants aux pieds de mon père, et d’implorer sa clémence, quoique j’eusse bien peu d’espoir de l’attendrir. Quelle fut ma consternation quand j’appris qu’une fois dans le secret de la retraite des bandits, on n’avait plus la permission de quitter leur troupe ; qu’il fallait renoncer à l’espoir de rentrer jamais dans la société, et consentir sur-le-champ à accepter l’un d’entre eux pour mari ! mes prières et mes remontrances furent vaines. Ils tirèrent au sort à qui m’aurait ; je devins la propriété de l’infâme Baptiste. Un voleur, qui jadis avait été moine, accomplit pour nous une cérémonie plus burlesque que religieuse ; mes enfants et moi nous fûmes remis aux mains de mon