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ne pouvez avoir déjà oublié le jour où votre vie fut mise en danger par la morsure d’un mille-pieds. Le médecin vous abandonnait, déclarant ignorer le moyen d’extraire le venin ; j’en connaissais un, moi, et je n’ai pas hésité à l’employer. On m’avait laissée seule avec vous ; vous dormiez : j’ai défait l’appareil de votre main, j’ai baisé la plaie, et de mes lèvres sucé le poison. L’effet a été plus prompt que je n’avais cru. Je sens la mort dans mon cœur ; une heure encore, et je serai dans un meilleur monde. »

« Dieu tout puissant ! » s’écria le prieur ; et il tomba sur le lit, presque sans vie. Au bout de quelques minutes, il se releva subitement et regarda Mathilde avec tout l’égarement du désespoir. « Et vous vous êtes sacrifiée à moi ? Vous mourez, vous mourez pour sauver Ambrosio ! et n’y a-t-il donc pas de remède, Mathilde ? et n’y a-t-il donc pas d’espoir ? Parlez-moi, oh ! parlez-moi ! dites-moi qu’il existe encore quelque ressource ? »

« Rassurez-vous, mon unique ami ! oui, j’ai encore une ressource, mais une ressource que je n’ose employer : elle est dangereuse, elle est terrible ! ce serait acheter trop cher la vie — à moins qu’il ne me fût permis de vivre pour vous. »

« Eh bien ! vivez pour moi, Mathilde, pour moi et pour la reconnaissance ! » Il lui saisit la main, et la porta avec transport à ses lèvres. « Rappelez-vous nos derniers entretiens, je consens à tout. Rappelez-vous de quelles vives couleurs vous avez peint l’union des âmes, que la nôtre réalise ces idées. Oublions les distinctions de sexe, méprisons les préjugés du monde, et ne voyons, l’un dans l’autre, qu’un frère et un ami. Vivez donc, Mathilde, oh ! vivez pour moi ! »

« Ambrosio, cela ne se peut ; quand je l’ai cru, je vous ai