Page:Levoyageauparnas00cerv.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 50 —

la mélancolie en toute saison, en tout temps. Mes Nouvelles ont ouvert un chemin où la langue castillane peut déployer toutes ses qualités dans des récits peu vraisemblables. Je suis celui qui, par l’invention, l’emporte sur un grand nombre, et je reconnais que celui-là n’a point à se plaindre des rigueurs de la renommée, qui pèche par l’invention. Dès mes tendres années, j’aimai l’art charmant de la douce poésie, et le cultivai toujours avec le désir de te plaire. Jamais mon humble plume ne s’égara dans la région de la satire, et ne chercha dans la bassesse des récompenses honteuses et des infortunes méritées. C’est moi qui ai composé, pour la plus grande gloire de mes écrits, le sonnet qui commence ainsi : « Par ma foi, voilà une munificence qui m’étonne ! » J’ai produit quantité de romances ; parmi beaucoup d’autres qui ne valent pas le diable, celle de la jalousie mérite mes préférences. Voilà, en somme, pourquoi je suis fâché extrêmement de me voir seul debout, sans pouvoir seulement m’abriter sous un arbre. Je suis, comme on dit, sur le point de livrer à l’impression le grand Persiles, par lequel croîtront mon nom et mes œuvres. C’est moi qui, en des pensées aussi chastes que subtiles, rangées dans des sonnets à la douzaine, ai rendu hommage à trois héroïnes de cuisine. De même que Philis, ma Philène a fait retentir les forêts, ravies d’entendre mes chants joyeux. Et dans des rimes de toute mesure, les vents légers emportèrent mes espérances,