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CXXXV

menait tout droit à la folie. Don Quichotte avait perdu la raison à force de lire des romans et des poëmes d’une forme agréable et souvent très-belle, mais complètement dépourvus de bon sens et de vraisemblance.

Jamais il n’y eut de critique plus ingénieuse que celle des ouvrages qui composaient la bibliothèque de l’ingénieux hidalgo. À quelques exceptions près, le curé condamne au feu tous ces récits extravagants, toutes ces fades pastorales qui faisaient alors les délices des oisifs et l’envie des beaux esprits. L’exécution est sommaire. On fait grâce seulement à quelques livres qui se sauvent par l’excès du ridicule, et dont les auteurs sont accablés d’éloges ironiques. Parmi les poëmes, trois ou quatre seulement échappent au bûcher, parce qu’ils célèbrent des événements mémorables de l’histoire nationale. Cette exception remarquable n’étonnera point ceux qui savent que le roman de Don Quichotte a été tiré en quelque sorte des entrailles de la nation.

Tout en inventant beaucoup, l’auteur s’est inspiré de la tradition populaire. De là ces légendes nombreuses et ces proverbes qui sont le fonds même de la littérature du peuple, et qui ont contribué, non moins que l’exacte description des lieux et la profonde observation des mœurs et des usages, à faire de Don Quichotte le meilleur livre à consulter pour la connaissance de l’Espagne. Cervantes a fait véritablement une épopée nationale, un poëme en prose qui est à la