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les moindres bibelots l’âme de celle qui allait paraître. Il mania quelques objets, posés sans arrangement sur une table. Une boîte à secret l’amusa, une petite boîte ancienne, en forme de livre, avec les plats d’un émail sombre pavé d’étincelles en diamants. De l’ongle, il tâcha de faire jouer le ressort. Il y parvint. Sa surprise fut grande de trouver au dedans un feuillet d’or neuf, adapté récemment, au moyen d’une fine charnière, et sur lequel était gravée cette phrase anglaise :

« The man who stands by himself, the universe stands by him also. »


Sa connaissance médiocre de la langue étrangère le fit s’acharner à découvrir le vrai sens de ces quelques mots. Il s’y appliquait encore lorsqu’une porte s’ouvrit. Jocelyne parut.

Clérieux se leva, déposant vivement le minuscule volume, comme pris en faute. Mais Mlle Monestier, lui tendant la main, s’écriait avec un air ravi :

— « Vous avez lu ? Vous savez l’anglais ? Y a-t-il une phrase plus belle que celle-là au monde ?

— Hélas ! mademoiselle, je suis confus de vous l’avouer, mais elle me paraît très difficile à traduire.

— Difficile… Je crois bien ! Vous pouvez dire impossible. Elle est trop profondément anglo-saxonne, cette pensée-là, pour trouver, en français, son équivalente absolue.

— De qui est-elle donc ? » demanda Robert.

— « Mais… d’Emerson », fit Jocelyne, levant les sourcils, avec un peu de surprise. Elle ajouta, mitigeant la remarque d’un mot gavroche et d’un sourire : — « Je le vois… Vous n’êtes pas plus « calé » sur Emerson que sur Nietzsche.

— Je le confesse sans douleur. »

Elle rit de l’intonation.

— « Mais vous sentez au moins toute l’héroïque beauté de cette phrase ? Moi, je me la répète quand je me sens faiblir. Quelle bouffée de courage ! Quelle fanfare de volonté !