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nous rapprochions du lieu de l’accident, j’observai le vieillard, il était tout gris de poussière et son visage n’offrait plus trace de nez, il y avait à la place une large fente par où s’échappaient des flots de sang… Le comte fit arrêter, descendit, examina : « Il est tué », prononça-t-il ; après quoi il me menaça d’un châtiment sévère dès que nous serions revenus à la maison, et se fit conduire en toute hâte à l’ermitage. Instruits du malheur qui venait d’arriver, les moines envoyèrent chercher le cadavre gisant sur le pont ; le comte eut un entretien avec l’igoumène et, l’automne suivant, plusieurs charretées d’avoine, de farine et de carassins séchés furent expédiées de chez nous au monastère. Pour moi, mon père me mena à l’écurie du couvent et m’y administra une correction, du reste, relativement légère, car il fallait que je pusse remonter à cheval. Ainsi finit l’affaire, mais, cette même nuit, je vis en songe le moine à qui j’avais donné un coup de fouet ; il pleurait encore comme une femme.