Page:Leskov - Le Voyageur enchanté.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de leurs balles, les coquins n’avaient garde d’ouvrir contre nous un feu en règle. Notre colonel était un brave à trois poils qui se plaisait à imiter les façons de Souvaroff et répétait continuellement : « Dieu me pardonne ! » Par son exemple il donnait du cœur à tous ses hommes. Dans le cas présent, il s’assit au bord de la rivière, ôta ses bottes et, plongeant ses jambes jusqu’aux genoux dans cette eau froide :

— Dieu me pardonne ! s’écria-t-il, — que l’eau est chaude ! vous diriez du lait qu’on vient de traire ! Mes bienfaiteurs, qui veut passer à la nage de l’autre côté avec le câble qu’il faut y amorcer pour établir un pont ?

Tandis que le colonel nous adressait ce petit discours, sur la rive opposée, les Tatares, utilisant en guise de meurtrière une crevasse du roc, avaient braqué contre nous deux canons de fusils. Ils ne tiraient pas cependant, mais sitôt que deux soldats, répondant à l’appel de leur chef, se furent jetés à l’eau, une double détonation retentit et les deux