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vage ; des stipes plumeuses dont les ondulations donnaient à la steppe l’aspect d’une mer d’argent ; dans l’air une odeur de brebis ; une existence fastidieuse dont il était impossible d’entrevoir le terme ; un abîme de tristesse… Je regardais, sans savoir moi-même où, et tout à coup devant mes yeux se dessinait un monastère ou une église, je me rappelais la terre chrétienne et je fondais en larmes.

L’émotion qu’il éprouvait en évoquant ces souvenirs obligea Ivan Sévérianitch à s’arrêter ; il exhala un profond soupir et poursuivit son récit :

— Pire encore était la vie dans les marais salants voisins de la mer Caspienne : le soleil qui darde ses rayons sur eux les fait scintiller comme la mer… Cet éclat vous hébète même plus que le spectacle des stipes plumeuses et vous ne savez pas alors à quel monde vous appartenez, c’est-à-dire si vous êtes vivant ou déjà mort et tourmenté pour vos péchés dans l’enfer éternel. Là où les stipes couvrent le sol, la steppe présente, à tout prendre, un