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cher Lemos, m’a-t-il dit, il faut que vous me trouviez tout à l’heure cette somme-là. Je sais bien que je vous incommode, que je vous épuise ; aussi mon cœur vous en tient-il un grand compte ; et si jamais je me vois en état de reconnaître, d’une autre manière que par le sentiment, tout ce que vous avez fait pour moi, vous ne vous repentirez point de m’avoir obligé. Mon prince, lui ai-je répondu, en le quittant sur-le-champ, j’ai des amis et du crédit, je vais vous chercher ce que vous souhaitez.

Il n’est pas difficile de le satisfaire, dit alors le duc à son neveu. Santillane va vous porter cet argent ; ou bien, si vous voulez, il achètera lui-même les pierreries ; car il s’y connaît parfaitement, et surtout en rubis. N’est-il pas vrai, Gil Blas ? ajouta-t-il en me regardant d’un air malin. Que vous êtes malicieux, Monseigneur, lui répondis-je ! Je vois bien que vous avez envie de faire rire monsieur le comte à mes dépens. Cela ne manqua pas d’arriver. Le neveu demanda quel mystère il y avait là-dessous. Ce n’est rien, répliqua l’oncle en riant. C’est qu’un jour Santillane s’avisa de troquer un diamant contre un rubis, et que ce troc ne tourna ni à son honneur ni à son profit.

J’aurais été trop heureux si le ministre n’en eût pas dit davantage ; mais il prit la peine de conter le tour que Camille et don Raphaël m’avaient joué dans un hôtel garni, et de s’étendre particulièrement sur les circonstances les plus désagréables pour moi. Son Excellence, après s’être bien égayée, m’ordonna d’accompagner le comte de Lemos, qui me mena chez un joaillier où nous choisîmes des pierreries que nous allâmes montrer au prince d’Espagne ; après quoi, elles me furent confiées pour être remises à Catalina. J’allai ensuite prendre chez moi deux mille pistoles de l’argent du duc, pour payer le marchand.

On ne doit pas demander si la nuit suivante je fus gracieusement reçu des dames, lorsque j’exhibai les