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Mais quoi ! N’avais-tu donc aucune raison, aucun motif pour quitter ainsi ta fille ? — Comment n’en aurais-je pas eu ? — Ah ! ce motif ressemblait fort à celui qui, dans Rome, portait un individu à se couvrir les yeux pendant que courait le cheval qu’il favorisait ! Puis, quand l’animal eût été vainqueur contre toute attente, il fallut des éponges pour ranimer notre homme qui se trouvait mal. — Quel est donc ce motif ? — Une recherche approfondie ne serait pas à sa place ici. Il suffit que tu sois convaincu, si ce que disent les philosophes est vrai, qu’il ne faut pas le chercher en dehors de nous, mais qu’il n’y a jamais qu’une seule et même raison qui nous fasse agir ou ne pas agir, parler ou ne pas parler, nous exalter ou nous abattre, éviter ou poursuivre ; et c’est cette raison même qui présentement, pour parler de toi et de moi, t’a fait venir ici et rester assis à m’écouter, tandis que moi elle me fait te dire tout cela. — Et qu’elle est cette raison ? — Peut-elle être autre que celle-ci : C’est que cela nous a paru bon ? — Pas autre. — S’il nous avait paru bon de faire autre chose, qu’aurions-nous fait que ce qui nous aurait paru tel ? C’était là ce qui faisait pleurer Achille, et non pas la mort de Patrocle. Il est en effet tel autre homme qui n’agit pas de même après la mort de son ami ; mais c’est que cela lui a paru bon. Aussi, tantôt, ton motif de fuir était qu’il te semblait bon de le faire, et, si par contre tu fusses resté, c’eût été encore parce que cela t’aurait paru bon. Maintenant tu retournes à Rome, encore parce que cela te paraît bon ; que le contraire te paraisse tel, et tu ne partiras pas. D’une manière