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à examiner si c’est là aimer son enfant. Examinons-le donc. Est-il vrai que, parce que tu aimais ta fille, tu faisais bien de fuir et de la laisser là ? Mais est-ce que la mère n’aime pas son enfant ? — Elle l’aime certes. — Fallait-il donc ou non que la mère elle aussi quittât son enfant ? — Il ne le fallait pas. — Et la nourrice l’aime-t-elle ? — Elle l’aime. — Elle aussi devait-elle donc la quitter ? — Non pas. — Et le précepteur de l’enfant, ne l’aime-t-il pas ? — Il l’aime. — Celui-ci aussi devait-il donc la laisser là et s’en aller, de façon que l’enfant serait restée seule et sans secours, grâce à la trop grande affection de ses parents et de ceux qui l’entourent ? Lui fallait-il mourir entre les bras de ceux qui ne l’aiment pas et qui ne s’intéressent pas à elle ? — A Dieu ne plaise ! — Eh bien ! N’est-ce pas une injustice et une absurdité que de ne pas permettre à ceux qui aiment ton enfant aussi bien que toi ce que tu te crois autorisé à faire parce que tu l’aimes ? — C’est une sottise. — Continuons : Si tu étais malade, voudrais-tu donc que tes parents et les autres, et tes enfants eux-mêmes et ta femme t’aimassent de manière à te laisser là seul et dans l’abandon ? — Non pas. — Souhaiterais-tu d’être aimé par tes parents d’un amour tel que, précisément par suite de leur trop grande affection, ils te laissassent toujours seul dans tes maladies ? Ne souhaiterais-tu pas plutôt, à ce point de vue, d’être assez aimé comme un fils par tes ennemis, si cela était possible, pour être abandonné par eux ? Or, si cela est, il ne reste aucun moyen pour que ta conduite soit conforme à l’amour paternel.