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s’il le faut, et sans feu ni lieu, je vis plus heureux et plus calme que tous vos eupatrides et tous vos riches. Voyez aussi mon corps, qui ne souffre en rien de ma vie sévère. » Si quelqu’un me parlait ainsi avec l’air et la mine d’un condamné, quel est le Dieu qui pourrait me persuader de m’attacher à un philosophe, qui rendrait les gens tels? Que le ciel m’en préserve! Je m’y refuserais, alors même que je devrais y devenir un sage.

Pour moi, par tous les Dieux! j’aime mieux que le jeune homme qui vient à moi pour la première fois, s’y présente bien frisé, que sale et les cheveux en désordre. On voit du moins en lui quelque idée du Beau, quelque amour de ce qui sied. Il le cherche où il croit qu’il est. On n’a plus qu’à lui montrer où il est, et à lui dire: « Jeune homme, tu cherches le Beau, et tu fais bien. Sache donc qu’il est pour toi où est ta raison. Cherche-le où est ta faculté de vouloir et de repousser, de désirer et de fuir. Car c’est là chez toi ce qui a de la valeur; pour ton corps, il n’est que boue de sa nature. A quoi bon te donner pour lui des peines inutiles? Le temps, à défaut d'autre chose, t’apprendra qu’il n’est rien. » Mais, si celui qui vient à moi est couvert d’ordures et de saletés, avec une barbe qui lui descend jusqu’aux genoux, que puis-je lui dire? Par quelles analogies l’amener où je veux? Après quoi a-t-il couru qui ressemblât au Beau, pour que je n’aie qu’à le changer de direction, et à lui dire: « Le Beau n’est pas là, mais ici? » Veux-tu que je lui dise: « Le Beau n’est pas dans la saleté, mais dans la raison? » Est-ce qu’il se soucie du Beau? Est-ce qu’il en a en lui quelque