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Vois ce que les cultivateurs disent des semences, lorsque la chaleur vient avant le temps; ils tremblent qu’elles ne poussent trop vite, et que la gelée, en tombant sur elles, ne les en punisse. Homme, prends garde à ton tour: tu as poussé trop vite; tu t’es jeté trop tôt sur la gloire; tu sembles être quelque chose; tu n’es qu’un sot au milieu des sots; le froid te tuera, ou plutôt il t’a déjà tué par le bas, dans ta racine; le haut pourtant chez toi fleurit encore un peu, et c’est ce qui fait croire que tu es encore vivant et fort. Mais, nous au moins, laisse-nous mûrir conformément à la nature. Pour quoi nous découvrir? Pourquoi forcer notre croissance? Nous ne pouvons pas encore supporter l’air. Laisse ma racine grandir, prendre un premier nœud, puis un second, puis un troisième; et de cette façon le fruit forcera la nature, alors même que je ne le voudrais pas. Comment, en effet, un homme tout plein et tout rempli de ces sages principes, ne sentirait-il pas sa force, et ne se porterait-il pas de lui-même aux actes pour lesquels elle est faite? Quoi! le taureau n’ignore pas sa nature et sa force, et, quand une bête farouche se présente, il n’attend pas qu’on le stimule; quoi! le chien fait de même à la vue d’une bête fauve; et moi, si j’avais la force du Sage, j’attendrais, pour faire ce que je dois, que tu m’y eusses disposé!

Mais, à l’heure qu’il est, je n’ai pas cette force, crois-moi. Pourquoi donc veux-tu que je me fane avant le temps, comme tu t’es fané toi-même?