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soit, qui puisse affaiblir le témoignage qu’il rend en faveur de la vertu contre les choses extérieures.

« On ne doit jamais voir son beau teint pâlir; on ne doit jamais le voir essuyer des larmes sur ses joues. »

Et cela ne suffit pas: on ne doit pas le voir non plus regretter ou désirer quoi que ce soit, homme, lieu, ou manière d’employer son temps, à la façon des enfants qui regrettent ou désirent les vendanges et les jours de congé. Le respect de lui-même doit être pour lui ce que sont pour les autres les murs, les portes et les portiers.

Aujourd’hui, dès qu’on se sent attiré vers la philosophie, comme les estomacs malades vers des mets dont ils seront bientôt fatigués, on prétend aussitôt au sceptre et à la royauté. On laisse pousser sa chevelure, on prend la tunique, on découvre son épaule, on discute contre ceux que l’on rencontre; trouve-t-on même quelqu’un en simple casaque, on discute encore contre lui. Homme, commence plutôt par t’exercer à l’écart. Prends garde que ton désir ne soit celui d’un estomac malade, ou une envie de femme grosse. Commence par faire en sorte qu’on ne sache pas ce que tu es; pendant quelque temps sois philosophe pour toi seul. C’est ainsi que pousse le blé: il faut que le germe soit enfoui et caché dans la terre pendant quelque temps, et qu’il s’y développe lentement, pour arriver à bien. Si l’épi se montre avant que le nœud de la tige ne soit formé, il n’arrivepas à terme; il est du jardin d’Adonis. Tu es une plante du même genre: si tu fleuris trop vite, le froid te brûlera.