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Qu’est-ce qui est à moi ? Et qu’est-ce qui n’est pas à moi ? Qu’est-ce qui m’est possible ? Et qu’est-ce qui ne m’est pas possible ? Il faut que je meure. Eh bien ! faut-il que ce soit en pleurant ? Il faut que je sois enchaîné. Faut-il donc que ce soit en me lamentant ? Il faut que je parte pour l’exil. Eh ! qui m’empêche de partir en riant, le cœur dispos et tranquille ? — « Dis-moi tes secrets. — Je ne te les dis pas, car cela est en mon pouvoir. — Mais je t’enchaînerai. — Ô homme, que dis-tu ? m’enchaîner, moi ! tu enchaîneras ma cuisse ; mais ma faculté de juger et de vouloir, Jupiter lui-même ne peut en triompher. — Je te jetterai en prison. — Tu y jetteras mon corps. — Je te couperai la tête. — Quand t’ai-je dit que j’étais le seul dont la tête ne pût être coupée ? » Voilà ce que devraient méditer les philosophes, ce qu’ils devraient écrire tous les jours, ce à quoi ils devraient s’exercer.

Thraseas avait coutume de dire : « J’aime mieux être tué aujourd’hui qu’exilé demain. » Que lui dit donc Rufus ? « Si tu choisis la mort comme plus pénible, quel est ce choix absurde ? Si comme plus douce, qui te l’a permis ? Ne veux-tu pas t’exercer à être satisfait de ce qui t’est échu ? »

C’est pour cela qu’Agrippinus disait : « Je ne m’entrave pas moi-même. » On lui annonça qu’il était jugé dans le sénat. « Au petit bonheur ! » (dit-il). « Mais voici la cinquième heure » (c’était celle où il avait l’habitude de s’exercer, puis de se baigner dans l’eau froide) ; « sortons et exerçons-nous. » Quand il s’est exercé, quelqu’un vient lui dire qu’il a été condamné. — « À l’exil, dit-il, ou à la mort ? — À l’exil. — Qu’arrive-t-il de mes biens ?