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l’on se retrouve soi-même, que l’on porte en soi la même ardeur, on peut reprendre la lutte; si on y succombe de nouveau, on peut la recommencer encore; et, si l’on est vainqueur une fois, on est comme si l’on n’avait jamais été vaincu. Seulement, il ne faut pas que l’habitude de la défaite vous amène à vous y résigner, et que désormais, comme un mauvais athlète, vous figuriez en vaincu à toutes les luttes, petit comme une caille qui se sauve. « Je succombe à la vue d’une belle fille, » dites-vous; « mais quoi! n’y ai-je pas déjà succombé hier? L’envie me vient de censurer quelqu’un; mais est-ce qu’hier déjà je n’en ai pas censuré un autre? » Voilà ce que tu nous débites, comme si tu étais sorti de là sans qu’il t’en coûtât. Tu ressembles à un homme à qui le médecin interdirait les bains, et qui lui répondrait: « N’en ai-je pas pris un hier? » Le médecin lui pourrait répondre: « Eh bien! qu’as-tu éprouvé après ce bain? N’as-tu pas eu la fièvre? N’as-tu pas eu mal à la tête? » Toi aussi, quand hier tu as critiqué quelqu’un, n’as-tu pas fait l’œuvre d’un malveillant et d’un bavard? N’as-tu pas nourri en toi cette disposition par des actions de même nature qu’elle? Et, quand tu as succombé à une femme, t’es-tu tiré de là sans punition? Que nous parles-tu donc de ce que tu as fait hier? Comme les esclaves qui se souviennent des coups, tu aurais dû, toi aussi, puisque tu te souvenais, t’abstenir des mêmes fautes. — « Ce n’est pas la même chose, » dis-tu. « C’est la douleur qui donne de la mémoire à l’esclave; mais, à la suite de nos fautes, quelle douleur y a-t-il? Quelle punition? Qui peut donc nous