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Si tu désirais ton fils ou ton ami, quand il ne t’est pas donné de les avoir, ce serait, sache-le bien, désirer des figues en hiver. Ce qu’est l’hiver par rapport aux figues, les événements qui résultent de l’ensemble des choses le sont par rapport à ce qu’ils nous enlèvent. Désormais donc, au moment où tu jouiras de quelqu’un, mets-toi devant les yeux la scène contraire. Quel mal y aurait-il, quand tu embrasses ton enfant, à te dire tout bas, en parlant de lui, « Tu mourras demain; » et de même, en embrassant ton ami, « Tu partiras demain, ou, si ce n’est toi, ce sera moi; et ainsi nous ne nous verrons plus? » — Mais ce sont là des paroles fâcheuses! — Eh bien! dans les enchantements aussi il y a des mots fâcheux; mais on ne s’en inquiète pas, parce qu’ils servent. Qu’ils servent, cela suffit. Qualifies-tu donc de fâcheux d’autres mots que ceux qui désignent de mauvaises choses? C’est un mot fâcheux que lâcheté; ce sont des mots fâcheux que, bassesse, chagrin, affliction, impudeur. Voilà des mots qui sont réellement fâcheux. Et cependant personne ne doit hésiter à les prononcer pour se préserver des choses. Appelleras-tu donc fâcheux un mot qui désigne un fait tout naturel? Dis alors que c’est aussi une expression fâcheuse que celle-ci, « On coupe les épis, » car elle signifie la fin des épis. Heureusement qu’elle ne signifie pas celle du monde. Appelle fâcheux aussi le mot qui désigne la chute des feuilles, et celui qui désigne les figues sèches, parce qu’elles remplacent les figues fraîches, et celui qui désigne les raisins secs, parce qu’ils remplacent les raisins frais.

Il n’y a dans tout cela que des transformations