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xxi

par me montrer le ciel, si vous le peuplez sous mes yeux d’êtres bien heureux, dont la nature ait des analogies avec la mienne, si vous exaltez encore mes affinités avec eux par la prescription des plus hautes et des plus difficiles vertus, ne me condamnez pas, sous peine d’inconséquence et de cruauté, à vivre dans ma prison sans en sortir jamais, en m’imposant de surcroît, comme par ironie, l’obligation de m’y trouver heureux !

Après avoir fait l’humanité si grande, il faut que le Stoïcisme la comprime de force pour la faire tenir dans ce monde ; il faut, au propre, qu’il la refoule et qu’il la violente pour qu’elle ne sorte pas du misérable cercle où il la circonscrit ; et de là les duretés de Lucain, de Sénèque, du Manuel, voire même de quelques passages des Entretiens, sous la nécessité de justifier Dieu ici-bas par le bonheur absolu du Sage. En vain la charité, qui déborde à côté, les dément : une fois le principe posé, elles restent, en dépit de tout, ses conséquences logiques.

Ouvrez le ciel à l’homme ; qu’il y conserve sa personnalité ; que Dieu ait du temps et de l’espace pour y réaliser au-delà de ce monde le bonheur et la justice absolus, et dès-lors disparaît la nécessité d’étendre par moment du calus sur ce cœur, auquel on veut faire embrasser l’humanité tout entière dans son amour ; mais dès-lors aussi le Stoïcisme cesse d’être lui, pour faire place à une simple doctrine spiritualiste. Tant il est vrai que la négation de